de l’intelligence. Elle a une forme ; elle circonscrit
donc l’espace. Elle se meut ; elle limite donc le temps.
La pensée mesure l’étendue ; l’attention compte les
intervalles de la durée, et la science commence.
Mais si la matière en mouvement nous apprend à ,
connoître le temps , que la durée nous dévoile la suite
des mouvemens de la matière ; qu’elle nous révèle ses
changemens ; qu’elle nous montre sur-tout les modifications
successives de la matière organisée , vivante,
animée et sensible ; qu’elle en éclaire les admirables
métamorphoses ; que le passé nous serve à compléter
l’idée du présent.
Tel étoit le noble objet de la méditation des sages,
dans ces contrées fameuses dont le nom seul réveille
tant de brillans souvenirs , dans cette Grèce poétique ,
l’heureuse patrie de l’imagination , du talent et du
génie.
Lorsque l’automne n’exerçoit plus qu’une doucé
influence , que des zéphyrs légers balançoient seuls
une atmosphère qui n’étoit plus embrasée par les feux
dévorans du midi-, et que les fleurs tardives n’embel-
lissoientque pour peu de temps la verdure qui bientôt
devoit aussi cesser de revêtir la terre, ils alloient, sur le
sommet d’un promontoire écarté, jouir du calme de la
solitude , du charme de la contemplation, et de l’heureuse
et cependant mélancolique puissance d’une saison
encore belle, près, de la fin de son règne enchanteur.
Le soleil étoit déjà descendu dans l’onde ; ses rayons
SUR tA DURÉE DES ESPÈCES.'
ne doroient plus que le sommet des montagnes ; le
jour alloit finir; les vagues de la mer, mollement agitées
venoient expirer doucement sur la rive ; les
dépouilles des forêts, paisiblement entraînées par un
souffle presque insensible , tomboient silencieusement
sur le sable du rivage : au milieu d’une rêverie touchante
et religieuse, l’image d’un grand homme que
l’on àvoit perdu , le souvenir d’un ami que l’on avoit
chéri, vivifioient le sentiment, animoient la pensée,
ëchauffoient l ’imagination ; et la raison elle-même,
cédant à ces inspirations,célestes , se plongeoit dans le
passé-, et remontoit vers l’origine des êtres.
Quelles lumières ils puisoient dans ces considérations
sublimes !
Quelles hautes conceptions peut nous donner une
vue même rapide des grands objets qui enchaînoient
leurs réflexions et charmoient leurs esprits !
A leur exemple , étendonsnos regards sur le temps
qui s’avance , aussi-bien que sur le temps qui fuit.
Sachons voir ce qui sera , dans ce qui a été ; et par
une pensée hardie , créons, pour ainsi dire , l’avenir,
en portant le passé au-delà du point où nous sommes.
Dans cette admirable et immense suite d’événemens ,
quelle considération générale nous frappe la première?
Les êtres commencent, s’accroissent, décroissent et
finissent. L’augmentation et la diminution de leur
masse , de leurs formes , de leurs qualités, composent
seules leur durée particulière. Elles se succèdent sans
ITOME I I . D