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belle et la plus étendue partie de l'Asie , mais qu i,
depuis des milliers d’années , constante dans ses affections,
persévérante dans ses idées, immuable-tfans ses
lois, dans son culte, dans ses sciences, dans ses arts,
dans ses moeurs, ne nous montre l’espèee humaine que
comme stationnaire, et, ne nous présentant aucun changement
actuel, ne nous laisse soupçonner aucune modification
passée?
Si nous considérions enfin..la race arabe ou européenne
, celle que nous pouvons le mieux connoître,
parce quelle a le plus exercé ses facultés, cultivé son
talent, développé son génie , entrepris, de travaux,
transmis de pensées , tracé de récits, effacé les distances
des temps et des lieux par l’emploi des signes de la parole
ou de l’expression du sentiment, parce qu’elle
nous entoure de tous les côtés , parce que nous en faisons
partie, quelle différence spécifique trouvons-nous,
par exemple, entre les Grecs des siècles héroïques et
les-Européens modernes? L’homme daujourdhui possède
plus de connoissances que l’homme de ces siècles
fameux : mais il raisonne comme celui des premiers
jours de la Grèce ; mais il sent comme l’homme du temps
d’Homère; et voilà pourquoi aucun poète ne surpassera
jamais Homère, et voilà pourquoi aucun statuaire ne
l’emportera sur l’auteur de l’Apollon Pylhien, pendant
que le trésor des sciences recevant à chaque instant des
faits nouveaux , il n’est point.de savant du jour qui ne
puisse être plus instruit que le Newton de la veille ;
SUR LA DURÉE DES ESPECES. xlvij
et voilà pourquoi encorç les progrès des arts pouvant
être renfermés dans des limites déterminées comme les
combinaisons des sentimens *, les chefs-d’oeuvre qu’ils
produisent peuvent parvenir à la postérité avec la gloire
de leurs auteurs , pendant quelles progrès des sciences
devant être sans limites, comme les combinaisons des
faits et des pensées, les découvertes sont impérissables,,
ainsi que la renommée des hommes de génie auxquels
on les doit ; mais les ouvrages mêmes de ces hommes
fameux passent presque tous, et sont remplacés par
d’autres, à moins que le style qui les a tracés, et qui
appartient à l’art, ne les-sauve de cette destinée et ne'
leur donne l'immortalité.
Les animaux qui ressemblent le plus à l’homme, les
mammifères, les oiseaux, les quadrupèdes ovipares et
les serpens, ne seront pas non plus les sujets des réflexions
par lesquelles nous terminerons ee Discours s * Il
* Il faut faire une exception relativement aux arts, tels que la peinture,
la musique, etc., dpnt les procédés, en se perfectionnant chaque jour,
multiplient les moyens d’exécution, et par conséquent le nombre des
créations possibles.
Il est d’ailleurs évident que cette détermination dé limites n’a point
lieu pour les a r ts, lorsqu’en appliquant leur puissance à de nouveaux objets
en combinant leurs produits , et en leur donnant, pour ainsi dire, par ces
opérations, la nature dés sciences,,1e génie les rend propres à exprimer
un plus .grand nombre de sentimens, à peindre des sujets plus variés ou
plus nombreux, à présenter de plus Vastes-tableaux , à toucher par con-
séquent avec plus de force ,.et a faire naître des impressions plus durables.
Voyez'ce que nous avons dit, à cet égard ,/dans la Poétique de la musique,
împrimée en 1785»