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le sinistre pouvoir de ces êtres extraordinaires, retracer
l’image de leurs ministres, présenter sur-tout à 1 imagination
amie du merveilleux ce composé fantastique,
mais imposant, de formes, de couleurs, d’armes, de
qualités effrajantes et douées cependant d’un attrait
invincible, qui servant, sous le nom de dragon, les
complots ténébreux des magiciennes de tous les âges,
au char desquelles on l’a attaché, ne répand l'épouvante
qu’avec l’admiration, séduit avant de donner la
mort, éblouit avant de consumer, enchante avant de
détruire?
Et afin que cette même imagination fût plus facilement
entraînée au-delà, de l’intervalle qui sépare le
dragon de la Fable, de la vive de la Nature, n’a-t-on
pas attribué à ce poisson un venin redoutable? ne s’est-
on pas plu à faire remarquer les brillantes couleurs de
ses jeux , dans lesquels on a voulu voir resplendir,
comme dans ceux élu dragon poétiquç tous les feux
des pierres les plus précieuses?
Il en est cependant du dragon marin comme du
dragon terrestre *. Son nom fameux se lie à d’immortels
souvenirs : mais à peine l’a-t-on apperçu, que toute
idée de grandeur s’évanouit; il ne lui reste plus que
quelques rapports vagues avec la brillante éhimère
dont on. lui a appliqué la fastueuse dénomination, et
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du volume gigantesque qu’on étoit porté à lui attribuer
, il se trouve tout d’un coup réduit à de très-petites
dimensions. Ce dragon des mers , ou , pour mieux dire ,
et pour éviter toute cause d’erreur, la trachine vive ne
parvient, en effet, très-souvent qu’à la longueur de
trois ou quatre décimètres.
Sa tête est comprimée et garnie dans plusieurs endroits
de petites, aspérités. Les jeu x, "rapprochés l’un
de l’autre , ont la couleur et la vivacité de l’émeraude
avec l’iris jaune tacheté de noir. L’ouverture de la
bouche est assez grande, la langue pointue ; et la
mâchoire inférieure , qui est plus avancée que la supérieure,
est armée, ainsi que cette dernière',’ de dents
très-aiguës. Chaque operculé recouvre une large ouverture
branchiale, et se -termine par une longue
pointe tournée vers la queue. Le dos présente deux
nageoires : les rajons de la première ne sont qu’au
nombre de cinq; mais ils sont non articulés, très-
pointus et très-forts. La peau qui revêt l’animal est
couverte d’écailles arrondies, petites, et foiblement
attachées : mais elle est si dure, qu’on peut écorcher
une trachine vive presque aussi facilement qu’une murène
anguille. Il en est de même de l’uranoscope rat;
et c’est une nouvelle ressemblance entre la vive et cet
uranoscope.
Le dos du poisson est d’un jaune brun ; ses côtés
et sa partie inférieure sont argentés et variés dans
leurs nuances par des raies transversales ou obliques,