poisson que l’on pêche sur tant de rivages, que l’on,
trouve sur tant de tables frugales ou somptueuses , dont
le nom est si souvent prononcé, et dont la facilité à
s’échapper des mains qui le retiennent avec trop de
force, est devenue un objet de proverbe pour le sens
borné du vulgaire, aussi-bien que pour la prudence
éclairée du sage ? Mais , depuis Aristote jusqu a nous
les naturalistes, les Apicius, les savans, les ignorans,
les têtes fortes, les esprits foibles, se sont occupés de
l’anguille ; et voilà pourquoi elle a été le sujet de tant
d’erreurs séduisantes , de préjugés ridicules , de contes
puériles, au milieu desquels très-peu d’observateurs
ont distingué les formes et les habitudes propres à
inspirer ainsi qu’à satisfaire une curiosité raisonnable.
Tâchons de démêler le vrai d’aVec le faux ; représentons
l’anguille telle qu’elle est.
Ses nageoires pectorales sont assez petites, et ses
autres nageoires assez étroites, pour qu’on puisse la
confondre de loin avec un véritable serpent : elle à
de même lé corps très-alongé et presque cylindrique.
Sa tête est menue, le museau un peu pointu, et la
mâchoire inférieure plus avancée que la supérieure.
L ’ouverture de chaque narine est placée au bout d’un
très-petit tube qui s’élève au-dessus de la partie supérieure
de la tête; et une prolongation des tégumens
les plus extérieurs s’étend en forme de membrane au-
dessus des jeu x , et les couvre d’un voile demi-transparent
, comme celui que nous avons observé sur les
jeux des gjmnotes , des ophisures et des aptéronotes.
Les tèvres sont garnies d’un grand nombre de petits
orifices par lesquels se répand une liqueur onctueuse;
une rangée de petites ouvertures analogues compose,
de chaque côté de l’animal, la ligne que l’on a nommée
latérale; et c’est ainsi que l’anguille est perpétuellement
arrosée de cette substance qui la rend si visqueuse. Sa
peau est, sur tous les points de son corps, enduite de
cette humeur gluante qui la fait paroître comme vernie.
Elle* est pénétrée de cette sorte d’huile qui rend
ses mouvemens très-souples; et l’on voit déjà pourquoi
elle glisse si facilement au milieu des mains inexpérimentées
qui, la serrant avec trop de force, augmentent
le jeu de ses muscles, facilitent ses efforts, et, ne pouvant
la saisir par aucune aspérité, la sentent couler et
s’échapper comme un fluide *. A la vérité, cette même
peau est garnie d’écailles dont on se sert même, dans
plusieurs pajs du Nord, pour donner Une sorte d’éclat
argentin au ciment dont on enduit les édifices : mais ces
écailles sont si petites, que plusieurs phjsiciens en ont
nié l’existence; et elles sont attachées de manière que
le toucher le plus délicat ne les fait pas reeonnoître sur
l’animal vivant, et que même un oeil perçant ne les
découvre que lorsque l’anguille est morte, et la peau
* Le mot muroena, qui vient du mot grec lequel signifie couler,
Réchapperj désigne cette faculté de l’anguille et des autres poissons de son
genre.