
"puis on les réduit en molécules groflieres au
moyen d'une râpe. Il faut alors en exprimer le
fuc. Pour cet effet, on emplit de cette rapure
des facs tiiTus d’écorce de Latanier, & bn les
foumet, pendant plufieurs .heures , à l’aélion
d'une forte preffe. Après avoir fuffifamment extrait
le' jus de cette r a p u r e o n la paffe au travers
d’un h éb ich e te fp è c e de crible un peu
gros ,& on la porte dans un lieu deftiné à la taire
c -ire , pour en fabriquer de la Caffave ou de
la farine de Manioc.
Pour faire la Caffave, dit M. lé Romain ( Anç.
' Encycl.) , il faut avoir une platine de fer coulé
, ronde , bien unie, ayant à-peu-près deux
pieds & demi de diamètre , épaiffe dè fix; à fepü
lignes, 8c élevée fur quatre pieds", entre lef-
quels on allume du feu. Lorfque la platine commence
à s’échauffer., on répand fur toute la
furface environ deux doigts d’épaiffeur de là
fufdite rapure paffée au crible, ayant foin de
l ’étendre bien également par-tout, 8c de l’ap-
platir avec un large couteau de bois en forme
de fpatulè. On laiffe cuire le tout fans le remuer
aucunement, afin que les parties de la
rapure, au moyen de l’humidité qu’elles contiennent
encore, puiffent s’ attacher les unes aux-
autres, pour ne former qu’un fèui corps, qui
diminue confidérablement d’épaiffeur en cuifant.
Il faut avoir foin de le retourner fur la platine,
étant effentiel de donner aux deux fur faces un
égal degré de cuiffon: c’ eft alors que cette efpèce
de galette , ayant la figure d’ un large croquet,
s’appelle Caffave. On la met refroidir à l’air, ©ù
elle achève de prendre une confiftance sèche ,
ferme, & aiféè à rompre 'par morceaux.
Quant à la farine de Manioc, ajoute le même
Auteur, elle ne-diffère de la Caffave qu’en ce
que les parties de la rapure dont il a été parlé,
ne font point liées les unes aux autres, mais
toutes féparées par petits grumeaux qui reffem-
blent à ae la chapelure de pain , ou plutôt à
Un bifcuit de mer groffièrement pilé. Pour faire
à la fois une grande quantité de farine, on fe
fort d’une poêle de cuivre à fond plat, d’environ
quatre pieds de diamètre, profonde de
fept à nuit pouces r 8c fcellée contre le mur de
la caze dans une maçonnerie en pierre de taille'
ou en brique, formant un fourneau peu élevé,
dont la bouche du foyer doit être en dehors
du mur. La poêle étant échauffée , on y jette
la rapure du Manioc 5 8c fans perdre de temps,
on la remue en tout fens avec un rabot de bois,
femblable à ceux dont fe fervent les maçons
pour corroyer leur mortier. Par ce mouvement
continuel , ofi empêche les parties de la rapure
de s’attacher les unes aux autres ; elles perdent
leur humidité & cuifent également. C ’ eft à l’odeur
favoureufe & à la couleur un pfeii rôufsatre qu’op
juge fi la cuifîbn eft exaÛe : pour lors on
retire la farine avec une pelle de bois, on l’étend
fur des nappes de greffe toile * 8c lorf-
qu’.elle eft refroidie , on l’enferme dans des barris,
oiY elle 1e conferve long-temps.
Les CaiTaves s’appellent encore pains de Ca.ff
[ave ou pains, d> Mnda^ afcar , 8c la farine de Manioc
porte dans beaucoup d’ endroits le nom de
Couac (ou Couaque;)'. Une provifion de dix !ivres
de Co.tct faJlit, dit-on, à un voyageur pour vivre
pendant quinze jours, quelqu’appétit qu’il ait.
- Plus la Caifave- eft . mince , plus elle eft délicate
& devient croquante. Elle' eft plus favbu-
reufe lorfqu’on lui laiflê prendre une couleur
rouffe. Les dames créoles ep. mangent de préférence
au pain de Fr-oment, lorfqu’elle eft sèche,
mince 8c bien unie. La Caffave & la racine de
Manioc bien préparées renfermées dans un.
lieu fée.., fe conferverit , au rapport d’Aublet,-
au-delà de quinze années fans aucune ' altération y
& , quand on les mêle par égalé portion avec
la farine- de Froment, on en obtient un pain
plus blanc &"‘plus fâvoureux que celui-qui eft
de Froment pur. Le même mélange eft également
propre à faire un bifcuit très-bon à embarquer.
' Quoiqu’on puifle manger sèches , 8 c -fans
préparation fecondaire , la farine de Manioc ainff
que la Caffave, il eft pourtant d’ ufage de-les:
humeéler avec un peu d’èau pure ou avec du
bouillon : ces lubftances fe renflent confidérablement
, & font une fi excellente nourriture,
que ceux qui y‘ font accoutumés la préfèrent
à toute autre, On apprête un mets riommé 'Lan-
gou 'avec de la Càfîàvè , qu’on trempe un peu
dans de l ’eau froide 8c qu’on jette enfuite dans
de l ’eau bouillante : en remue le to u t , 8z il
en réfulte une forte de pâte ou de bouillie,
qui eft la nourriture la plus ordinaire des enclaves
noirs , elle eft faine 8c légère. Le MateÇé
eft du Langou, dans lequel on mêle du fucre'
ou du fyrop : les nègres s’en nourrirent quand
ils font malades. La préparation connue particulièrement
fous le nom de galette de Manioc,
eft mauvaife, & devroit être tout-à-fait abandonnée:
ce n’ eft autre chofe qu’une efpèce de-
Caffave épaiffe ' '8c mal cuite, fufceptible par
conféquent de fe moifîr promptement 8c de contrarier
un goût défagréable.
Le Cipipa eft la fécule la plus tenue que four-
ntffe le Manioc, celle qui eft entraînée Avec
le fuc des racines lorfqu’ ôn les -preffe. Il eft de
la plus grande fineffe, d’un très-beau, blanc,
8c fait un petit craquement lorfqu’il eft froifle
entre les obi g t s , à-peu-près comme fait l ’amidon.
On l’emploie de la même façon pour em-
pefer le linge. Il.^s’appellé encore Moujfiche.
Four l’obtenir, il nfe s’agit que de décanter le
fuc après l’ avoir laiffe repofer quelque temps , 8c
laver à plufieurs eaux la matière amilacée qui
en occupe le fond. On en compofe dés efpèces
d’échaudés & des maffepains en y. mêlant d«
fucre. Quelques perfonnes fo n t , avec le Cipipa
récent &c mouillé , des galet tes très-minces en
le pétrifiant > elles y mêlent un peu de fe l, puis
les font cuire au four enveloppées' dé feuilles
de Bananier ou de Balifier : ces galettes font d’un
goût très-délicat 8c blanches comme la neige. Le
Cipipa fert auffi à fabriquer de la poudre à poudrer.
Pour cela, on le laiffe fécher à l ’ ombre
en efpèces de pains comme l ’amidon j on 1 e-
crafe enfuite | & on le paffe à travers un tamis
fin. Maisocette poudre , dit-on brûle lès cheveux
à là longue. 11 s’emploie encore , en guife
de farine , à frire le poiffon, à donner de la
liai-fon aux fauces, 8c à faire-de bonne colle à
Coller du papier.
• Outre les alimens folides , h racine de Manioc
fert encore de bafe à plufieurs boiffon s que.
les Galibis nomment Vicou, Cnchiri, Paya, Voua-
paya. Lé Vicou eft une liqueur acide , rafirai-
chiffanté, agréable à boire, 8c même nourrif-
fante, qu’on fait en mêlant de l’eau a\>ec une
colonies, fous le nom de C a b io u ou Capiou,
8c qu’on compofe de la manière fuivante : on
prend l’ eau de Manioc toute fimple , 8c celle qui
fumage le Cipipa 5 on les fait réduire à moitié
fur Je feu , en les ccumant continuellement : on
y ajoute 'alors une cuillerée de Cipipa, 8c on
fait rdbouiiiir le tout jufqu’à ce qu il ait acquis
la confiftance d’un fyrop épais ; on y met du fel
8c quelques baies de piment : voilà le Cabiou.
On .le- verfe dans des bouteilles où il fe conferve-
long-temps. Cette efpèce de Rob èft excellent
pour aflàifonner les ragoûts, le rô ti, 8c fur-tout
I les canards & les oies,. Il aiguife l’appétit.
Les feuilles du Manioc hachées 8c cuites dans
rhüiie , fe mangent, dit-on, en manière d'Epi- .
nards dans les Indes & en Amérique.-La rapure
de la racine , toute fraîche , paffe pour réfo-
}utive & propre à guérir les ulcères.
On v o i t , par le détail dans lequel je viens
d’entrer, combien on a fù cirer parti du Medi-
cinier à Caffave. Ses. racines ne peuvent guères
demeurer en terre au-delà de trois'années fans
aufli
raps.
comuofée de Caffave 8c de Patases rapées. On J fs pourrir/ ou fans de’venir trop dures :
aioute du fucre à cette boiffon. I c Cack-rï eft !, ne doit-on jam;ais les. y laiffer plus long-î
enyvrant , & a prefque le goût du 1foiré. - On ! Quand la laifo11 eft èhau de 8c favorable
prépare cette ligueur en faifant boni!tlir enfem- j le fol eft d’aiî!leurs de bonne qualité , e’
bfe;, dans, de l’eau, la rapure fraîche d’ unc va- ! quièrent queîq'ne fois la groffeur de la cui
riété particulière (dite 7) de Manioc, quelques
Patates 8c. fouvent un peu de jus de
Canne à fucre , puis en iaiffânt fermenter ce mélange
durant environ quarante - huit heures-.
Cette boiffon, prife avec ■ modération , paffe
pour apéritive & diurétique. Le Paya eft une
boiffon fermentée , que fon goût rapproche du
vin . blanc. On la compofe avec des, CaiTaves récemment
cuites , qu’on amoncelle pour qu’elles
fe moifîffent, qu’on pétrit enfuite avec quelques
Patates, 8c auxquelles-' on ajoute une quantité
d’ eau fuffifante. Il faut que ce méiangeffermente
pendant environ deux jours.-. Enfin , le Vo-ia-
paya eft une quatrième efpèce de liqueur ana-,
logiie aux- précédentes. Pour la hère, on prépare
la Caffave plus épaiffe qu’à I’orcüha:re ; & , quand
cette'Caffave eit cuite à m o itié ,‘l’on en forme,
des mottes qu’on-empile les unes fur les autres,
& qu’ on laiffe ainfi entalfées ju fq t ’à ce qu’ elles
acquièrent du moifi de couleur purpurine. On
pétrit quelques-unes de ces mottes avec des Patates
: puis 011 délaye la pâte dans de l’ eau-, 8c
on laiffe fermenter ce mélange pendant vingt-
quatre heures. La liqueur qui en réfulte eft piquante
comme le cidre ^ 8c provoque des nau-
fées. Plus elle vieillit, plus elle devient violente
8c plus elle enyvre. Souvent on fe contente,
.amli que pour le Vicou , de-préparer la pâte ,
8ç de la délayer dans de l’eau quand on a bç-
foin de fe défaltérer. On peut faire provifion de
cette pâte pour un voyage de trois femaines.
C ’eft le fuc .de Manioc qui fait la bafe d’une
forte d’ affaifonnement qu’on connoît, dans les
iffe 8c
une longueur d'un pied demi à trois pieds.
Nous liions dans Roche-fort qu’un arpent de
terre, plante de cet arbriffeau, peut nourrir un
plus grand nombre de perfonnes que fix arpens
qui fer oient erffemencés du meilleur Froment.
Quand on envifage d’une part cette prodigieufe
fécondité , & qu’on - confidère de l’autre que ,
par l’édit du R o i, nonirné le Code noir, donné
a Verfaiiles en 16S5 > ^ eft ordonné expreffement
aux habitans des îles françoifes de fournir pour
la nourriture de leurs efeiaves , âgés au moins
de dix ans, la quantité de deux pots & demi
de farine de Manioc par femair.e , le pot-contenant
deux pintes ; ou bien, au défaut de farin
e , trois Caffaves pefant chacune deux livres ce
demie,on ne peut ferefufer à faire avec M.i’Abbé
Rofier ( Cour. d’Agric. Artic. Manihoc. ) cette
réflexion affligeante pour l’humanité : Il a fallu
des loix pour'taxer la nourriture qui devoit être
donnée à des hommes, 8c il n’ a pas été nécef-
faire de recourir à elles pour affurer la leur aux
boeufs 8c aux chevaux !
On prétend que le fuc de R o co u , pourvu,
qu’on i’ avale dans les premiers inftans, eft un,
antidote contre le venin du Manioc. Ce venin,
ainfi qu’il a été dit plus haut, eft très-délétère.
Plufieurs Auteurs rapportent que les Indiens ,
perfécutés par les Efpagnols, s’en fervoient pour
fe faire mourir. Les animaux le recherchent, bien
qu’il leur foit aufli nuifible qu’à rhomme. On a lu
à l’académie à Berlin,-le 17 mai 1764 , des expériences
faites àburinam, parM. Fermin, furlelait,
exprimé des racines du Manioc : ce Médecin