que les eaux recouvrent probablement à chaque marée
haute, ou, tout au moins, pendant les grandes
crues du fleuve et les marées des syzygies. Les premiers
d entre nous qui voulurent débarquer s’y
enfoncèrent presque jusqu’à la ceinture; la vase,
constamment délayée sur ses bords par les eaux de la
rivière, devenait un peu plus ferme dans l’intérieur;
mais le sol sur lequel les palétuviers avaient pris racine
était encore tellement humide, que nous y enfoncions
toujours jusqu’aux genoux ; il était impossible
de rester en place, car alors la vase détrempée cédait
constamment sous notre poids, et au bout de fort
peu de temps, il devenait tout à fait impossible de se
dégager de ce ciment qui nous liait les pieds.
« Autant que la vue pouvait s’étendre autour de
nous, la terre présentait le même aspect; je reconnus
bien vite qu’il me serait impossible de tenter
aucune observation de physique; à part les grands
arbres qui avaient pris racine dans ce terrain boueux,
le sol était entièrement dénudé ; les naturalistes ne
pouvaient le parcourir, et c’était pour eux le supplice
de Tantale, car, outre les singes, on apercevait dans
les arbres quelques oiseaux, et nos hommes avaient
déjà vu plusieurs serpents se glisser dans ces marécages.
Du reste, le jour baissait rapidement, et
les exhalaisons fétides de la plage auraient pu être
funestes à nos équipages et faire naître des fièvres
pernicieuses. Aussi, nous y séjournâmes peu de
temps, mais les deux heures que nous passâmes à
terre furent employées à faire une guerre active aux
malheureux singes, les seuls habitants probables de
cette forêt aquatique.
« A peine nos canots avaient-ils touché au rivage,
que M. Ducorps s’était élancé un des premiers à la
poursuite des nasiqiies; à force d’efforts, il parvint à
s’avancer d’environ vingt mètres dans l’intérieur,
lorsque nous étions tous encore autour des embarcations
sans savoir comment nous dégager du bourbier
dans lequel nous pataugions. Tout à coup nous entendîmes
un coup de feu, et, quelques instants après,
les cris de M. Ducorps, qui demandait du secours.
A Finstant même nous nous précipitâmes du côté
d’où partaient les cris ; nous aperçûmes bientôt notre
compagnon de voyage enfoncé jusqu’à la ceinture
dans la vase et ne pouvant déjà plus faire aucun
mouvement. Il aurait infailliblement péri s’il eût été
seul et si 011 n’eût pu lui porter secours. M. Ducorps,
n’écoutant que son ardeur pour la chasse, s’était mis
à la poursuite des singes fugitifs; il était parvenu à
atteindre un des traînards de la troupe, et l’avait
abattu d’un coup de feu ; mais, en voulant ensuite
parvenir jusqu’à sa victime, il s’était engagé imprudemment
dans un endroit où le terrain étant un peu
plus bas, les eaux pouvaient aussi séjourner plus longuement,
et où, par conséquent, la vase était plus
molle ; déjà fatigué par la course qu’il avait faite, ses
forces l’avaient abandonné. Il fut, du reste, promptement
arraché à cette désagréable position.
« Cet événement, loin de contenir l’ardeur des
chasseurs, ne iil que l’augmenter; le singe mort