Octobre paraît être gravement atteint. Les brises
favorables de l’alizé qui nous emportent dans le sud,
l’infliience salutaire de la température qui devient
moins chaude chaque jour, font espérer aux médecins
une guérison prompte et hors de doute. Officiers
et matelots, tous savent que Hobart-Town sera notre
première relâche, mais ils savent aussi qu’il faut compter
deux mois au moins de traversée pour atteindre
les rivages de la Tasmanie. Nos équipages n’ont rien
perdu de leur gaieté, leur courage est depuis longtemps
éprouvé, et quelles que soient les épreuves auxquelles
ils vont être soumis, ils ne devront jamais faiblir.
Une forte brise de S. E. appuie fortement sur nos
voiles ; forcées de serrer le vent pour ne pas trop tomber
dans l’ouest, nos corvettes fatiguent durement et
bondissent en brisant les fortes lames que les vents
poussent sur leur avant. Mais nous filons rapidement
vers le sud, chaque jour nous rapproche de Hobart-
Town. Chaque incident qui peut amener un peu de
variété dans les habitudes si monotones des matelots,
est saisi avec empressement. Les gabiers s’élancent
dans la mâture à la poursuite de quelques oiseaux
de mer et d’une pauvre hirondelle égarée à
deux cents lieues de toute terre, et qui est venue chercher
un moment de repos sur nos navires. Les pêcheurs
jettent l’émérillon à la mer, et bientôt ils
amènent à bord un énorme requin, ennemi juré
du matelot. Tout autour des corvettes, de nombreux
hameçons recouverts soigneusement offrent un appât
trompeur à des bandes d’oiseaux de mer qui font la
guerre à des troupes innombrables de poissons volants
bondissant à la surface des eaux. Puis, à mesure que
nous gagnons le large, les oiseaux disparaissent, la
mer élève toujours ses houles de 4 à 5 mètres de hauteur,
mais elle devient déserte, les poissons volants
ne viennent plus effleurer dans leur vol rapide les
crêtes des vagues écumeuses; nous avons quitté les
eaux chaudes des tropiques et ses habitants.
Le 23, nous avions dépassé le 20“ degré de latitude
sud, la mer était belle et nos navires en profitèrent dans
la soirée, pour communiquer. Le capitaine Jacquinot
envoya à mon bord un canot monté par un médecin,
qui m’apprit que la Zélée comptait quatorze hommes
sur les cadres, et qu’un officier, M. Pavin de la Farge,
était pris depuis quelques jours de coliques très-violentes
; toutefois, les rapports des médecins constataient
que les malades allaient beaucoup mieux. Ces
messieurs espéraient encore que, sous l’influence
d’une température moins élevée , les malades ne
tarderaient pas à reprendre leur santé. Du reste,
le capitaine Jacquinot m’annonçait avec satisfaction
que, malgré le grand nombre d’hommes qui se trouvaient
atteints par la dyssenterie, l’équipage ne montrait
aucun découragement. Les officiers se faisaient
toujours remarquer par leur enthousiasme pour
les succès futurs de l’expédition. La chaleur avait
déjà singulièrement diminué. Le thermomètre variait
entre 20 et 23 degrés centigrades. Dès la veille, sur
1 avis des médecins, j’avais ordonné pour nos hommes
la tenue en drap ; j’engageai le capitaine Jacquinot à
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