I.
10
ans qu’à pareil jour, et à peu près sous les mêmes
latitudes, nos équipages apercevaient, pour la première
fois, les glaces flottantes. Ce rapprochement
ne pouvait leur échapper, et, en comparant les situations,
ils laissaient éclater l’espoir qu’ils avaient
d’être plus heureux dans cette nouvelle entreprise,
mais cette espérance devait être de courte
durée.
A trois heures vingt-cinq minutes du matin, la vigie
signalait la première glace ; elle était peu importante.
Ce n’était qu’un glaçon de petite dimension, qui n’offrait
rien de remarquable et qui aurait certainement
passé inaperçu à côté de nos corvettes, s’il n’avait
signalé pour nous l’approche probable de glaces infranchissables.
Peu de temps après, d’autres glaces
se montrèrent à l’horizon, au nombre de cinq à six.
Nous rangeâmes de très-près celle qui se trouvait la
plus voisine de nous ; elle formait un bloc d’environ
400 mètres de largeur sur 21 mètres de hauteur. Ses
bords échancrés annonçaient que depuis longtemps
elle était en pleine mer, où les eaux, agitées par le
vent, avaient déjà fait de larges entailles dans ses
flancs. Un instant, la vue de ce glaçon attira les regards
de l’équipage, mais nos hommes étaient depuis
longtemps habitués à ce genre de navigation, aussi
la vue de cette île flottante ne fixa leur attention que
bien peu de temps. Nous l’avions à peine dépassée,
que déjà ils avaient repris leurs occupations habituelles,
et donnaient un libre cours à leur gaîté.
Nous comptions dans nos rangs une douzaine d’hommes
qui apercevaient pour la pi emière fois ces masses
redoutables. Ils devinrent naturellement le sujet des
plaisanteries de leurs camarades, et bientôt, entraînés
par l’exemple, ils ne donnèrent plus à leur tour aucun
signe d’étonnement à la vue des glaces flottantes que
nous rencontrâmes par la suite.
L’apparition de ces glaçons ne me présageait rien
de bon pour l’avenir. Dans ma première tentative,
nous avions aperçu les premières glaces par le 59“ degré
de latitude, et nous n’avions pu dépasser le
65“ parallèle ; aujourd’hui nous n’avions atteint que
le 60“ degré, et j’en tirai naturellement la conclusion
que nous arriverions sous peu devant les mêmes
banquises qui déjà nous avaient arrêtés une fois.
Cependant ces premières glaces me paraissaient
déjà trop grosses pour avoir pu se former dans la
banquise en pleine mer. Je pensai qu’elles provenaient
plutôt de quelques terres qui se trouvaient
dans le voisinage, et la suite m’a prouvé que je ne
m’étais point trompé.
Les vents continuaient à souffler de l’O. N. 0 .,
mais la mer s’était apaisée tout d’un coup, la houle
ne parvenait que difficilement jusqu’à nous. C’était
là une indication bien précise qui annonçait l’approche
de la terre ou de la banquise. Cette remarque
n’avait échappé à aucun de nous ; toutefois, comme
pendant les deux jours qui suivirent, nous n’aperçûmes
presque plus d’îles de glace flottantes , nous
continuâmes à espérer d’atteindre une latitude élevée.
Le froid était devenu très-vif. Le thermomètre