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toujours prêts à déserter, et qui menaçaient de nous
abandonner à chaque instant. Toutes ces considérations
m’engagèrent à continuer ma route, malgré
tout le désir que j’avais de rendre moi-même un
dernier hommage à l’infortuné Goupil, dont j’avais
apprécié le zèle et le talent. Aussi, à mon grand regret,
nos corvettes couvertes de toile durent continuer
à s’éloigner de la rade. Un instant je conçus
l’espoir de pouvoir sortir du fleuve dans la journée
même, mais bientôt la brise, jusque-là incertaine ,
passa au S. S. E ., et vint à souffler avec force. Dès
lors il était inutile de songer davantage à lutter contre
des vents contraires, pour gagner la pleine mer.
Aussi je me décidai à laisser tomber l’ancre de nouveau
dans le lit de la rivière, à quelques milles de la
rade renvoyant un nouvel appareillage au lendemain.
Quelques embarcations vinrent dans la journée à
bord de Y Astrolabe, et lui apportèrent des planches
qui avaient été oubliées ; elles nous apprirent que les
obsèques de notre malheureux compagnon de route
devaient avoir lieu dans trois jours. Les oflîciers de la
garnison anglaise en avaient eux-mêmes fixé le cérémonial
et déterminé les honneurs à rendre. Dès lors
il devenait tout à fait inutile que dans la journée nos
embarcations allassent de nouveau accoster les quais
de la ville ; nous ne pouvions que mêler nos regrets
sincères à ceux de nos malades restés à terre, à qui
était réservee la triste satisfaction d’accompagner jusqu’à
sa dernière demeure cette nouvelle victime de
l’épidémie. Cependant j’accordai dans la soirée à
MM. Gervaize et Dumoutier, qui m’en manifestèrent
le désir, la permission d’aller à terre, à la condition
expresse qu’ils seraient rentrés à bord le lendemain à
quatre heures du matin.
M. Goupil, peintre de l’expédition, était à peine
âgé de vingt-cinq ans ; sa mort, quoique prévue d’avance,
laissa parmi nous tous une impression profonde
; « car il n’était personne, dit M. Dubouzet, qui
n’eût apprécié les heureuses qualités du coeur qu’il possédait.
Chacun vit avec beaucoup de peine un jeune
talent aussi remarquable s’éteindre à la fleur de l’âge
après une longue et pénible campagne à laquelle la
passion des arts et des voyages lui avait fait tout sacrifier.
Jamais, ajoute M. Dubouzet, son noble caractère
ne s’était fait mieux remarquer que pendant sa longue
et cruelle agonie, qu'il supporta avec tant de courage
et de résignation, et pendant laquelle il dicta avec le
plus grand calme ses dernières volontés. Jusqu’au
dernier moment il pensa à sa famille et à ses amis ; il
donna des souvenirs à chacun de nous, témoignant la
plus vive reconnaissance à tons ceux qui lui donnaient
des soins*. »
A deux heures du matin, le pilote accostait nos corvettes
et donnait le signal du départ, malgré le calme
qui régnait. Grâce au courant de la rivière, nous atteignîmes
bientôt la vaste baie des Tempêtes, bassin
magnifique où les eaux peu profondes permettent de
mouiller dans toute son étendue, et où une escadre
’ Sa biographie est à la fio de ce volume.