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1840.
Janvier.
A combien de réflexions pénibles n’élais-je pas entraîné
dans un pareil moment! Si nous eussions péri
dans cette journée, tous les travaux de l’expédition
auraient été anéantis ; je n’avais pas même la consolation
de penser que j’avais été conduit dans cette
nouvelle expédition glaciale par les instructions qui
m’avaient été confiées. Pour moi, la vie était peu de
chose : condamné à des souffrances constantes, la
mort était presque une délivrance ; mais combien
était différente la position de ces jeunes marins à qui
s’ofîrait un avenir des plus honorables, et qui, quelques
jours auparavant, éprouvaient tant de joie et de
bonheur à la vue de la terre que nous venions de découvrir.
Avec quelle avidité j’interrogeais l’horizon!
Incertain sur notre position, je redoutais à chaque
instant d’entendre ce cri terrible de banquise sous le
vent! car je ne pouvais me dissimuler, quels que fussent
nos efforts, que nous finirions par être acculés sur
ces terribles récifs de glace sans aucune chance de
sauvetage.
D’après l’estime deM. Dumoulin, dix lieues seulement
nous séparaient du fond du golfe. En tenant
compte de notre dérive, il suffisait de douze heures
pour nous faire parcourir cet espace ; mais obligés à
chaque instant de laisser porter pour doubler les
glaces flottantes qui se trouvaient sur notre passage,
nos chances de salut tendaient encore à diminuer.
C’est surtout dans de pareils périls que l’on peut
juger l’équipage qui est occupé à les braver. Jamais,
je dois le dire, les marins de Y Astrolabe ne montrèrent
un plus noble courage ; officiers et matelots,
tous, dans cette circonstance, montrèrent un zèle
intrépide, une stoïque abnégation, digne des plus
grands éloges. Deux officiers étaient constamment de
service sur le pont du navire ; les matelots se relevaient
d’heure en heure, mais le froid était tellement
vif et le service si pénible, que l’équipage était
épuisé.
Enfin, le lendemain, à dix heures du matin, le vent
perdit subitement de sa force, les rafales devinrent
plus rares et moins violentes, l’horizon s’éclaircit, et
l’espoir commença à renaître à bord de Y Astrolabe.
La vigie crut apercevoir du haut de la mâture la Zélée
à une grande distance sous le vent, mais un coup de
canon que nous tirâmes pour lui indiquer notre position
resta sans écho. Bientôt le vent recommença à
souffler avec force, en nous, amenant des grains de
neige qui masquèrent de nouveau l’horizon : c’était le
dernier coup de fouet de la tempête, la brise mollit
ensuite tout d’un coup et devint maniable; l’horizon
s’éclaircit, nous revîmes la terre, et nous pûmes constater
sur les glaces l’effet du coup de vent. Toutes les
îles que nous avions déjà aperçues dans la journée
du 23, au milieu du bassin où nous venions de courir
de si grands dangers, avaient presque totalement disparu
; la banquise elle-même semblait avoir reculé
sous l’effort du vent. Les relèvements qui furent
pris plus tard sur une des plus grosses glaces vinrent
nous démontrer qu’en effet la partie septentrionale
de la banquise avait marché dans l’ouest de
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