Voici la seconde fois que votre navire se trouve aux portes de
mon empire hyperboréen ; j ’ai cru donc qu’il était de mon devoir,
en voyant tant d’audaceetdepersévérance, d’entrer en pourparlers
avec vous ; quelque nom que vous donniez à ma capitulation, elle
n’en sera pas moins honorable pour moi.
Quand, il y a deux ans, vous voulûtes pénétrer des secrets
que nul autremortel n’avait connus, je reçus un message de mon
frère Ligna, me conjurant de mettre obstacle à votre dessein,
jaloux qu’il était devons faire connaître les détails de son empire;
c’est alors que je vous arrêtai, vous savez comment— Toutefois,
pour garder un souvenir de vous , j ’ai conservé sous verre le
coupe-glace qui formait l’avant de votre navire; il se trouve dans
mon cabinet d’antiquités à Pinguinopolis. (salle 111, tiroir A, etc.)
Avant la révolution de Juillet, n u l, si ce n’est Cook que m’avait
recommandé mon frère Ligna, n’avait pu pénétrer dans mon
empire ; mais à présent que mes sujets révoltés , prenant exemple
sur ceux de votre roi, ont tué mes gendarmes et mes gardes municipaux
, je ne puis opposer à la curiosité des navigateurs que
quelques glaçons; encore ne faudrait-il pas qu’ils eussent toujours
affaire à des navires comme \Astrolabe.
Cette année l’hiver n’a pas été rigoureux, en sorte que mes
glacières ne sont pas bien approvisionnées ; nul obs tacle convenable
ne s’opposera donc à votre entrée dans mes Etats. Ne vous effrayez
pas de quelques glaçons épars sur mes frontières , ce sont de petits
encouragements que je vous envoie , des preuves de ma puissance
que j ’étale aux yeux des mortels. Tel un gendarme, arrêtant
un membre de la Société des Droits de l’Homme, ne le frappe que
du plat quand il pourrait le couper avec le tranchant de son
sabre.
Vous entrerez donc dans nos Etats, mais vous vous conformerez
aux formalités exigées par notre loi ; vous avez été baptisés par
mon frère , vous communierez avec moi ; l’eau vous a purifiés
dans votre baptême tropical; pour entrer chez moi: vous communierez
sous les espèces du pain et du vin ; seulement, commandant,
je vous préviens (jue mes caves sont un peu dégarnies.
NOTES. . 321
La bière dont j ’avais fait provision pour vous est presque
épuisée, aussi faut-il que je la ménage.
Toutefois, j ’espère vous recevoir, moi et ma cour, demain lundi
aux frontières de mon empire.
Fait en notre palais impérial, à Pinguinopolis, lat. 90° oo’-oo” ,
long. 00® oo’-oo” dans toutes les directions, — ce jourd’hui dimanche
19 du mois solsticial, année 1889 de l’hégire polaire.
Antarctique.
Pour copie conforme,
P étrolophile , 1®'' ministre.
P . - S . Notre ambassadeur Glaciolithe sera , comme à l’ox'di-
naire, logé et défrayé par le navire visité.
Nota bene. Ce jeune homme sera sans doute altéré par sa longue
course, je vous prierai de l’abreuver; votre commis aux vivres
réglera ces dépenses avec notre chargé du détail des vivres.
Les instructions du père Antarctique furent ponctuellement
suivie s , et on envoya le messager se rafraîchir à la cambuse.
Le lendemain , l’ingénieur des régions polaires vint, de la part
de son souverain, frère du père la L igne, accompagné du premier
ministre Pétrolophile , annoncer au commandant d’Lrville
l’arrivée du souverain et de sa co u r , conformément à la lettre
reçue la veille.
L n envoyé, qui avait le plus grand rapport de costume et de
manières avec noire Robert Macaire européen, prit le commandement
du navire pour lui faire franchir le point dangereux du
cercle polaire où son souverain nous attendait.
Les ordres se succédèrent avec tumulte; le pilote des régions
polaires parvint à faire à lui seul autant de bruit que dix officiers-
modèles.
« Brassez bâbord la civadière ! Larguez la balancine du con-
« tre-cacatois de perruche ! Larguez le perroquet de civadière !
« Pesez le bras du battant de cloche. »
On répondait à ces commandements par de grands éclats de
rire. Pendant ce temps , l’ingénieur des terres polaires , armé
d’une boussole d’inclinaison improvisée parle charpentier, ornée