fut rapporté à bord des embarcations par les matelots.
C était un beau mâle, et nous admirâmes ses
belles formes, son nez si remarquable par ses dimensions,
et les belles teintes de son poil. Bientôt,
sur la gauche, nous entendîmes un feu de mousque-
terie si nourri, que M. Gourdin et moi, qui étions
restés au canot, nous aurions pu croire à un engagement
de nos gens avec les naturels, si nous eussions
été sur un terrain habitable. Les coups de
fusil que nous entendions nous servirent à nous guider
, et après une demi-heure d’efforts nous rejoignîmes
le gros de nos chasseurs ; ils n’étaient pas à
plus de quarante mètres des canots, tous s’étaient
éiablis sur des troncs d’arbres abattus par le vent
ou le courant, et de là ils avaient ouvert le feu sur
la troupe des singes qui couvrait les branches d’arbres
au-dessus de leurs têtes. Le carnage fut considérable,
mais ces malheureux animaux, cramponnés
sur les grosses branches, recevaient la mort sans
quitter leurs demeures. Nous ne pûmes en avoir que
six, dont deux mâles, deux femelles adultes, et deux
jeunes, probablement de l’année. J’en tuai deux pour
ma part, deux femelles; l’une d’elles était pleine;
l’autre fut rapportée presque vivante à bord. Elle
avait reçu une balle qui lui avait fracturé une patte
de devant et l’avait fait tomber. Quoique encore
pleine de v ie , une fois par terre elle ne fit aucun
effort pour échapper à celui de nos matelots qui la
saisit. Celui-ci la prit dans ses bras comme un enfant
pour la porter au canot; cette malheureuse bête ne
chercha nullement à se défendre ou à lui faire du mal;
seulement, avec le bras de devant qui lui restait, elle
lui saisit le nez et parut l’examiner avec soin, puis
elle le tira fortement, comme si elle avait voulu l’allonger
et le rendre semblable au sien.
« Il était cinq heures et demie lorsque nous cherchâmes
à nous retirer; ce n’était pas chose facile,
chacun de nous sentait alors la fatigue des efforts
qu’il avait dû faire pour traverser cette mer de ciment
; il nous fallut renoncer à nos souliers, les plus
prudents les avaient laisses dans les embarcations, les
autres durent les abandonner dans la vase ; enfin à
six heures nous étions parvenus, en nous trempant
tout habillés dans l’eau, à nous nettoyer à peu
près, et nous remettions à la voile. Nos matelots,
qui avaient manié les avirons toute la matinée, étaient
exténués; M. de Montravel ne voulut pas les exposer
à de nouvelles fatigues. Nous attendîmes patiemment
sous voiles que la brise nous conduisît à bord de nos
navires, mais elle était si faible et si variable quil
nous fallut toute la nuit pour franchir les sept à huit
milles qui nous en séparaient. Il était cinq heures
du matin lorsque nous accostâmes XAstrolabe. Une 3
heure après, les deux corvettes avaient levé leurs
ancres et déployaient leurs voiles pour continuer leur
route le long de la côte de Bornéo.
« La femelle de singe blessée que nous avions rapportée
fut bien vite adoptée par l’équipage ; sa douceur
ne se démentit pas un seul instant ; elle affectionnait
surtout le matelot dont elle avait tiré le nez,