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à nos familles et à nos amis, qui ne se doutaient guère alors que
nous étions à pareille fêle ; car chacun de nous leur avait laissé
prudemment ignorer que nous relournions dans la mer Glaciale.
[M. Dubouzet.)
Noie 17, page 154.
Le temps est magnifique, les corvettes sont entourées d’une
grande quantité de glaces, toutes très-élevées. La brise est à l’est,
joli frais, et nous en profitons pour nous rapprocher de la terre
que nous dévorons des yeux ; mais pour y arriver, nous sommes
obligés de donner tête baissée à travers un véritable labyrinthe
d'îles de glaces . qui heureusement offre des passes praticables.
Tantôt c’est une rue longue et étroite, bordée d’édifices majestueux,
aux dômes étincelants ^.tantôt ce sontdes palais aux arcades
bien découpées, où se reflètent les plus brillantes couleurs du
prisme. Ici une vas te baie, plus loin uu cap sourcilleux. Nos navires
glissent silencieusement, effleurant parfois, du bout de leur vergues
, ces imposantes masses qui souvent dominent leur mâture.
Saufle cri rauque et discordant des pingouins, rien ne vient trou--
hier le silence de ces majestueuses solitudes.
La redoutable barrière est franchie, la mer est plus dégagée
et nous pouvons gouverner droit sur la terre ; devant nous se développe
une masse blanche de 12 à i5oo pieds de hauteur , elle
s’étend à perte de vue ; de loin en loin apparaissent des ondula
lions qui semblent annoncer des vallées, des collines ; le rivage
n’ofïre qu’un amas confus de glaçons foi mant tantôt des caps, des
pointes avancées, tantôt des baies aux falaises déchirées , bouleversées
sans doute par quelque convulsion de la nature qui en a
violemment séparé les masses flottantes que nous avons rencontrées
au large.
Nous prolongeons a petite distance cette côte de nouvelle espèce;
de tout<:s parts nos lunettes fouillent, interrogent les recoins
les plus reculés : partout la désolanle blancheur monotone
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de la neige, pas le plus petit morceau de roche ; souvent le cri de
terre retentit du haut de la mâture, chaque fois ce sont des émotions
nouvelles, mais chaque fois aussi nous pouvons nous convaincre
que ce ne sont que des ombres , des reflets fantastiques.
Cependant, il est cinq heures du soir, nous contournons un cap
de glace qui s’avance de 5 à 6 milles au large de la terre ; la brise,
faible et incertaine depuis quelque temps, nous pousse juste assez
pour nous le faire doubler, puis nous abandonne tout à fait sur
une mer dont la surface, aussi unie que celle d’un lac, n’est plus
troublée que par le plongeon de quelque pingouin.
Une glace énorme, et dont la base paraît accessible, flotte à
côté de nous. MM. Dumoulin et Coupvent partent pour y
faire des observations magnétiques. Pendant que ces messieurs
cheminent vers leur observatoire, nous sommes tous réunis
sur la dunette. Le temps est admirable, et, chose merveilleuse
dans ces régions, le ciel est d’une pureté sans tache ; chacun s’amuse
à contempler les formes bizarres qu’offrent les glaces qui
nous entourent. Pour la centième fois j’interroge de ma longue-
vue ces masses de neige et de glaces, lorsque j’aperçois des taches
roussâtres, rugueuses, qui ne pouvaient appartenir qu’à des roches,
à de véritables roches. Je les fis remarquer au commandant,
mais souvent trompé dans la journée, il se refuse d’abord à y
croire. Bientôt cependant de nouvelles taches sedécouvrent, cette
fois il est impossible de nepas être convaincu ; car, quoique éclairées
par le soleil, ces taches conservent une teinte uniforme, et
ressortent parfaitement en noir sur la neige d’où elles surgissent.
Le commandant donne l'ordre de mettre un canot à la mer; on
l ’arme avec six hommes vigoureux, car la distance est grande ; on
embarque un compas, de la bougie, tout ce qui peut êire nécessaire,
dans le cas où la brume viendrait le surprendre en route ;
je suis de service ; à moi donc le commandement du canot, à moi
l’honneur de fouler le premier cette terre vierge de pas humains.
Bien ne peut égaler mon bonheur. Qu’elles devaient èire puissantes
les émotions qui ont dû as.?aillir le coeur des navigateurs
qui les premiers dans la carrière ont doté leur pays de la décou