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Quelques heures avant sa mort, par un caprice de moribond,
il voulut gocïter du vin de Champagne ; nous ne pûmes nous
refuser à ce désir, et il tenait le verre dans sa main débile, lorsque
le commandant Jacquinot, qui avait pour Ernest une affection
toute particulière, vint le voir. « Vous voyez, commandant, dit-
il en faisant un effort pour sourire, la mort n’est pas aussi triste
qu’on se l’imagine !» A la vue de cette résignation angélique, le
dur marin, qui avait vu sans sourciller la mortde si près, et sous
tant de formes, dont l’équipage avait été plus d’une fois décimé
par les maladies, se détourna pour cacher ses larmes !...
Notre départ était fixé au lendemain. A dix heures du soir,
Goupil se fit plusieurs fois changer de place, puis il resta tranquille
et parut s’endormir ; quelques instants après il n’étail plus,
il s’étail éteint sans douleur, sans agonie, il s’était endormi du
sommeil du juste !
Ainsi mourut Ernest Goupil, à l’âge de vingt-six ans, martyr
du devoir et de son amour de l’art. 11 fut pleuré de ses compagnons
de voyage, qui, pendant plus de deux années passées avec
lui, avaient pu apprécier toute la générosité, tout le dévouement
de sa belle âme, et qui tous perdaient en lui un véritable ami.
Ses oeuvres, tout incomplètes qu’elles sont, suffiront pour assurer
à son nom l’immortalité, et feront regretter tout ce que
promettait une vie si brusquement tranchée.
Ainsi moururent quatre officiers de l’expédition. Goupil seul
parvint jusqu’à terre ; les autres étaient morts pendant la traversée.
Ils étaienl morts martyrs de la science, et leur regret, en mourant,
était de n’avoir pas assez fait pour la patrie, de n’avoir pu
achever leurs utiles travaux, auxquels devait s’attacher à jamais
leur nom...............Combien est préférable la mort du soldat sur le
champ de bataille. Dans sa bouillante valeur, il se précipite au devant
de l’ennemi, la musique guerrière, le bruit du canon exaltent
encore son courage, et lorsqu’une balle ennemie vient le frapper,
il tombe; mais souvent, avant de sc fermer pour jamais, ses yeux
BIOGRAPHIES. 391
entrevoient son drapeau triomphant, et à ses oreilles retentissent
des cris de victoire !
Les honneurs militaires seront rendus à ses dernières dépouilles,
des lauriers couvriront son tombeau, car il est mort pour
sa patrie !
Mais le marin qui entreprend de longs voyages pour ajouler
aux conquêtes de la science, qui pendant plusieurs années endure
des privations sans nombre, brave tous les périls, essuie tous les
dangers, et qui, lorsqu’il compte sur les joies du retour, sur le
succès de ses travaux comme compensation à toutes ses fatigues,
est atteint d’une horrible maladie. Loin de toute terre, balloté
par les vagues, il meurt après de longs jours de souffrance, sans
avoir la consolation que son nom survivra à ce trépas obscur et
ignoré.
Il meurt, et les vagues engloutissent sa dépouille ; il n’a pas
même un tombeau, aucun vestige de lui ne reste, rien ! Rien
qu’une petite croix qu’une main amie trace sur la carte, à 1 endroit
où les vagues se sont refermées sur lui ; point perdu au milieu
de l’Océan, atome dans l’immensité, mais vers lequel se reportent
sans cesse les coeurs déchirés des parents et des amis.
Oh ! ceux-là méritent bien la palme des guerriers, car eux
aussi sont morts pour la patrie I
Un modeste monument élevé sur une des collines qui entourent
la ville d’Hobart-Town, dans le lieu consacré aux sépultures,
rappelle les noms de nos infortunés compagnons. La piété publique
entoure ce mausolée de respect el de vénération, et quelques
âmes, comme il y en a partout, sympathiques au malheur
et aux grandes choses, veillent à sa conservation et l’entourent
de fleurs. Qu’ils reçoivent ici le tribut de notre profonde reconnaissance.
{Un de ses amis, son compagnon de voyage.)
F IN DU TOMI Î H tM T l FM E .