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«Yaicnl un laiisnian (jui rclevail son courage, enflammait son
imagination , et lui f a i s a i t supporter les ennuis et les fatigues de
celte longue navigation.
On voit, par le choix de ses modèles, la lignequeGoupd suivait
rn peinture. 11 n’était point de cette école exagérée qui recherche
dans la nature les contrastes les plus opposés et les effets les plus
bizarres. 11 cherchait à rendre ce qu’il voyait, et il trouvait que
la nature était assez belle , sans que l’imagination vînt y ajouter
ses fantastiques rêveries.
Sa dernière oeuvre montre bien la nature de son talent ; cest
une grande aquarelle représentant des massifs de bambous sur
le bord d’un ruisseau. 11 u’y a pas autre chose, et cependant une
douce mélancolie règne dans ce coin de paysage ; le ciel bleu , la
cime d’un cocotier agitée par la brise , tout cela attire et charme
le regard ; la couleur est si vraie, l'air circule si bien à travers les
touffes de feuillage, qu’on sent que c’est la représentation exacte
de la nature.
Notre longue course dans l’Océanie tirait à sa fin ; encore une
relâche, relâche fatale ! et nous allions gagner des climats tempérés
, puis explorer de nouveau les régions polaires. Le lieu de
cette relâche fut Samarang, pays malsain et dangereux, justement
redouté des navires européens.
Notre séjour fut de peu de durée, mais bien trop long, hélas !
car ce fut là que nous prîmes le germe du terrible fléau qui devait
nous enlever , en peu de temps , plus de trente de nos compagnons!...
Un canal conduit de la rade au milieu de la ville; sur ses bords,
s’élèvent de beaux arbres qui ombragent de pittoresques habitations.
Des pirogues , des canots de forme gracieuse ou bizarre
le sillonnent sans cesse ; c’est ce lieu que Goupil avait choisi
pour dessiner. 11 y passa ainsi presque tout le temps de la relâche,
exposé aux ardeurs d’un soleil dévorant, et aux vapeurs
méphitiques qui s’exhalaient des eaux du canal, réceptacle de
toutes les immondices de la ville...
Ce fut là, sans nul doute, qifil prit le germe de la mal.adie qui
devait, après deux longs mois de souffrances, le conduire au tombeau
, victime de son amour pour l’art.
Bientôt, en mer, le fléau se déclara avec intensité. Atteint un
des premiers et cloué sur son son lit de douleur. Goupil put
ignorer ce qui se passait autour de lu i, et que chaque jour la
maladie dont il était atteint nous enlevait une victime. Nous
mîmes tous nos soins à lui cacher ce triste état, dont la connaissance
aurait pu exercer sur lui une fâcheuse influence. Cela était
bien difficile, dans un lieu si res,serré, où d&minces cloisons vous
séparent à peine, et n’empêchent aucun bruit, aucune parole de
parvenir aux oreilles du malade; cependant, ùds furent les soins
et la circonspection de tous , que pendant deux longs mois aucune
indiscrétion ne fut commise , aucune pai'ole imprudente ne
fut prononcée, et son ami de La Farge rendait le dernier soupir a
deux pas de lui, qu’il ignorait encore la gravité de son propi’e mal.
11 s’en réjouissait même quelquefois, l’infortuné ! en pensant que
celte circonstance, en lui permettant de revenir en Europe par
la première occasion , lui ferait revoir plus tôt sa famille !...
Enfin, cette longue traversée s’acheva ; elle avait duré deux
mois ou plutôt deux siècles ; nous avions perdu trois officiers ,
quinze matelots, et il nous restait vingt malades, dont neuf devaient
encore succomber. Ils furent aussitôt transportés à terre
et placés dans un local convenable.
La joie d’être arrivé, le repos dans un bon lit , la vue de la
campagne... parurent produire quelque changement dans l’état
de notre pauvre artiste. Une espèce de réaction eut lieu et nous
donna quelques espérances, mais elles ne furent pas de longue
durée; un grand affaiblissement survint et nous présagea sa fin
prochaine ; nous le voyions s’éteindre peu à peu ; lui-même ne
put bientôt plus s’abuser sur sa positson. 11 apprit la vérité d un
oeil serein , et vit venir le dernier moment avec un calme et une
égalité d’âme qui ne l’abandonnèrent pas un seul instant.
Le jour de sa mort, il eut un entretien avecM. Thery, prêtre
catholique. « Ma plus grande faute et mon plus grand regret,
lui disait Goupil, c’est d’avoir abandonné mes vieux parents. »
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