s o l, et l’on eut pu croire que nous étions arrivés
devant une banquise plus considérable encore que
toutes celles que nous avions rencontrées, si nous
eussions pu admettre que jamais les banquises pussent
atteindre une hauteur aussi prodigieuse. Son
rivage présentait partout une falaise verticale de
glace, semblable h celles que nous avions remarquées
dans les îles flottantes que nous venions de traverser.
Cet aspect de la côte éîait tellement semblable
à celui que nous avaient offert ces glaces flottantes,
que nous ne conservâmes pas le moindre doute sur la
formation de celles-ci. Du reste, sur plusieurs points
du rivage, nous apercevions encore une grande quantité
d’îles flottantes, paraissant à peine séparées du
littoral où elles s’étaient formées, et n’attendant plus
que l’influence des vents et des courants pour gagner
le large. Les parties élevées de la terre présentaient
partout une teinte uniforme ; elles se terminaient à
la mer par un plan légèrement incliné ; grâce à cette
disposition particulière, nous pouvions embrasser du
regard une étendue assez considérable de terrain.
Sur plusieurs points, nous remarquâmes que les neiges
qui recouvraient le sol présentaient une surface
labourée et bouleversée. On y suivait de véritables
vagues, comme celles que creusent les vents
dans les déserts de sable. C’était surtout dans les
parties les moins abritées que ces accidents paraissaient
plus considérables. Sur d’autres points, cette
croûte de glace semblait aussi traversée par des ravins
ou creusée par les eaux. Le soleil était dans tout
son éclat et ajoutait beaucoup h l’aspect déjà si imposant
de cet amas de glaces. Avec nos lunettes,
nous interrogions à chaque instant du regard cette
terre mystérieuse , dont l’existence ne paraissait
plus contestable , mais qui ne nous avait offert
encore aucune preuve irrécusable de son existence.
Bientôt la vigie crut distinguer une tache noire sur
les bords de la mer, et se hâta d’annoncer sa découverte
; plusieurs officiers qui s’étaient élancés eux-
mêmes dans la mâture, crurent apercevoir à leur tour
ces indices si désirés à travers une masse d’îles flottantes
qui garnissaient la côte. Mais ensuite, à mesure
que nous nous approchâmes , le point noir qui avait
été signalé disparut subitement. Nous reconnûmes,
parmi les îles flottantes, qu’une d’elles présentait
une teinte terreuse, et qui aurait pu donner lieu à une
méprise. Nous supposâmes que c’était là la tache noire
aperçue par la vigie. Il est possible cependant qu’il y
eût dans cette partie une île ou un sommet dénudé
qui aurait pu apparaître dans une direction donnée,
mais qui, plus tard, aurait disparu derrière les glaces
qui garnissaient la côte. Les événements qui se succédèrent
quelques heures plus tard rendent même
cette hypothèse très-probable.
La brise, quoique faible, nous était favorable pour
prolonger la côte dans l’ouest. Toute la journée fut
employée à la reconnaître. Nous aperçûmes quelques
caps avancés, et quelques baies peu profondes et
généralement embarrassées par une immense quantité
d’îles flottantes ; mais partout le rivage présentait
VIII. 10