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étions beaucoup élevés pendani lu nuit et crûmes pouvoir doubler
la banquise ; nous laissâmes donc porter de deux quarts sur
la pointe extrême, où on voyait de grandes montagnes de glace
soudées avec elle ; mais en approchant, à huit heures du matin ,
on s’aperçut qu’elle se prolongeait à environ 3 milles dans le N. E.
par une pointe séparée du reste par un canal étroit et tellement
obstrué de glaces, qu’avec un temps aussi sombre on ne pouvait
® y engâgei, de crainte d être arrêté et pris entre ces glaces isolées
et la glace fixe. Nous reprîmes aussitôt 1e plus près et virâmes de
boid presqu a toucher ces glaces ; nous forçâmes de voiles ensuite
pour sortir au plus tôt de ce cul-de- sac : il n’y avait pas de temps à
perdre, car les apparences étaient très-mauvaises.
Au bout de quelques heures, le vent fraîchit considérablement,
le temps s’obscurcit et la neige commença à tomber. 11 atteignit
bien vite la violence d’un coup de vent qui nous força de diminuer
de voiles et nous fit faire des avaries dans nos écoutes d’hune.
Comme nous avions déjà laissé porter à plusieurs reprises pour ne
pas nous séparer de \Astrolabe, nous tombâmes alors sous le vent
à elle, d’autant plus que les glaces nous forçaient souvent d’arriver,
n’étant pas libres de notre manoeuvre. Di^jà à trois heures le
vent soufflait grand frais de l’est et de l’E. S. E ., nous gardâmes
néanmoins les basses voiles pour ne pas dériver sur les banquises.
La neige tombait avec une telle abondance, que parfois nous perdions
de vue 1 Astrolabe, et notre posilion commençait à être très-
ci itique, en raison des nombreuses glaces don t la mer était couverte
et des glaces compactes qui nous restaient sous le vent. L’état de
nos compas q u i, influencés par le voisinage du pôle magnétique ,
variaient à chaque instant de sept à huit rhumbs de v en t, compliquait
encore plus notre situation , car nous ignorions dans
lobscui’ité où nous allions; nous conservâmes la bordée de ba-
boid amures jusqu à cinq heures , sous les huniers avec trois ris
et les deux basses voiles. On perdit alors tout à fait de vue XAstrolabe
à un quart environ au vent de notre route. Nous nous
trouvâmes tout à coup au milieu d’une grande quantité de débris.
La neige tombait avec tant do force qu’on y voyait à peine à quelques
pas; comme nous devions être très-près de grandes îles de
glace, nous virâmes vent arrière à la hâte pour en éviter une qui
parut tout à coup sous notre beaupré ; dans cette évolution notre
grande voile fut défoncée ainsi que le petit foc. La violence du
vent s’accrut encore dans la soirée et nous força de diminuer de
voiles ; la neige qui tombait par ondées épaisses, la lame qui couvrait
la corvette, et le froid excessif paralysèrent alors à tel point
les forces de nos hommes, que toute manoeuvre était devenue on
ne peut plus difficile ; toutes les cordes étaient couvertes d’une
couche épaisse de glace et avaient plus que doublé leur diamètre.
A sept heures du soir, le vent avait acquis une telle intensité,
que dans tout autre cas il eût fallu mettre à la cape ; mais, affalés
comme nous 1 étions , on devait plutôt s’exposer à les perdre que
de diminuer de voiles. Nous gardâmes donc les deux huniers au
bas ris, et restâmes dans cette position jusqu’à onze heures du
soir, en proie aux plus vives inquiétudes ; à chaque instant, au
milieu de ce chaos, nous pouvions tomber inopinément sur une
glace et noos briser, ou bien rencontrer les champs de glace
fixe , ce qui était à peu près équivalent. Il était impossible de se
dissimuler le danger que courait la corvette , oxX Astrolabe ryne
nous avions perdue de vue devait être dans la même situation.
Pendant ces heures d’angoisses, nous sentîmes bien vivement
la privation de nos boussoles, et nous aurions voulu être bien
loin du pôle magnétique, car nous dirigions nos bordées sur le
vent qu’on était obligé de supposer fixe, et nous étions privés de
la ressource de pouvoir profiter de ses variations. La distance à
laquelle nous avions perdu de vue la banquise ne nous permettait
pas de douter que, pour peu que le vent durât ainsi toute la
nuit, nous tomberions dessus le lendemain ; sa nature compacte
et la grosse mer ne nous laissaient guère de chances de trouver
un refuge dans ses débris. A onze heures le temps s’embellit uu
peu et notre horizon s’étendit ; nous augmentâmes alors de voiles
autant que pouvait nous le permettre l’absence de la grande voile
et 1 impossibilité de la remplacer dans les circonstances où nous