d’uii canal beaucoup plus large que tons les autres,
et au milieu duquel nous aperçûmes un petit îlot,
nous reconnûmes alors devant nous une coupure,
couverte de trois pieds d’eau seulement. C’était justement
ce qu’il fallait à nos embarcations pour leur permettre
de flotter en se rapprochant du rivage. Une
fois engagés dans le chenal, il nous fallut chercher
longtemps encore pour pouvoir franchir la barre;
puis, enfin, la sonde nous indiqua de nouveau trois
brasses de fond, nous étions dans le lit de la rivière,
en quelques coups d’aviron nous allions toucher
au rivage. Il était alors trois heures de l’après-
midi, il nous avait fallu sept heures pour parcourir les
mille circuits formés par les eaux courantes de la rivière
sur le banc d’alluvions, qui barre son embouchure
, et qui, suivant toute probabilité, ne tardera
pas à être envahi par les palétuviers.
« En nous approchant de la côte, les matelots,
placés sur l’avant des embarcations, nous annoncèrent
que le rivage était garni de sauvages qui paraissaient
nous considérer avec beaucoup d’attention ;
cette nouvelle nous fit prendre toutes les précautions
commandées par la prudence en pareille circonstance
; toutes nos armes furent chargées ; les espin-
goles, qui garnissaient les plats-bords, se dépouillèrent
de leurs enveloppes de toile peinte, et, enfin,
les fusils furent placés de manière à pouvoir être saisis
à la première alarme. Les naturels de Bornéo
passent, en effet, pour être fort méchants, et le détroit
de Makassar est, dit-on, très-fréquenté par les pirates
qui habitent les côtes de Célèbes et de Bornéo.
Tous nos préparatifs de bataille étaient terminés ,
lorsque nos marins nous annoncèrent que ces êtres
vivants, qui garnissaient la côte et qu’ils prenaient
toujours pour des individus de l’espèce humaine,
étaient munis de grandes et belles queues, ce qui leur
donnaient une tournure des plus comiques. Cette
nouvelle annonce de nos matelots nous fit beaucoup
rire ; elle nous rappelait, en effet, la fameuse histoire
que l’on nous avait souvent racontée, sans jamais
parvenirànous convaincre, que Bornéo était la patrie
d’une race d’hommes toute particulière, jouissant du
bénéfice de porter une queue, et sur laquelle on disait
les plus jolies choses du monde. Notre hilarité
s’étant calmée à la fin, nous dirigeâmes nos longues -
vues du côté de la terre, et nous reconnûmes qu’elle
était couverte par une troupe de beaux singes qui paraissaient
très-émus de l’approche de nos embarcations.
Nous approchions rapidement, en effet, et
bientôt nos canots vinrent parallèlement l’un à l’autre,
et dans un ordre de bataille admirable, s’échouer
simultanément dans les vases de la plage. Mais déjà le
rivage était désert, les singes s’étaient réfugiés dans
les arbres dont ils occupaient les parties les plus élevées
( ce qui n’est pas peu dire), et du haut de ces
citadelles naturelles où ces malheureux se croyaient
en sûreté, ils nous adressaient les plus laides grimaces
qu’on puisse voir.
« Le rivage sur lequel nous venions d’accoster était
entièrement formé par de la vase molle et puante,