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grand intérêt, se joignit à nous. 11 répugnait à Marescot de quitter
Texpédition; il allait cependant céder à nos instances, lorsque
nous apprîmes que le commandant avait l’intention de tenter une
seconde exploration dans les régions polaires. Désormais, nous
ne punies rien obtenir : « Je veux être là, disait-il, pour partager
vos dangers ; ce serait une lâcheté que de quitter la corvette ;
et, du reste, les latitudes tempérées dans lesquelles nous allons
bientôt entrer me remettront, j’en ai la conviction. »
Nous quittâmes Samarang après six jours de relâche; Marescot
avait repris, nous étions tous plein d’espoir ; nous en avions fini
avec les terribles côtes des Aioluques et des îles de la Sonde ;
bientôt nous allions nous retrouver dans des latitudes plus saines.
Le 10 octobre iSSg , les corvettes étaient au mouillage au débouquement
du détroit de la Sonde, devant un village de la côte
de Sumatra. Nous étions tous à terre, lorsque trois coups de canon
daVAstrolabe vinrent nous rappeler; nous crûmes d’abord a une
attaque des naturels, et nous nous hâtâmes de regagner la plage ;
elle était couverte de sauvages, mais calmes et inoffensifs. Nos canots
nous attendaient, et en quelques coups d’aviron nous arrivâmes
à bord.
Le redoutable fléau qui nous menaçait depuis si longtemps venait
de se déclarer à bord de nos pauvres corvettes ; le commandant,
l’attribuant au mouillage que nous occupions, voulut le quitter
sur-le-champ ; il était trop tard , nous emportâmes la contagion
avec nous.
Marescot fut atteint un des premiers ; ses forces étaient épuisées,
et la maladie eut bientôt fait chez lui de terribles ravages.
Cependant, les vents s’étaient établis au S. E grande brise; ils
nous poussaient avec une vitesse de 6o et 8o lieues par vingt-quatre
heures. Le thermomètre était tombé de i5 et 20 degrés. Déjà
nous avions atteint les latitudes tempérées ; encore quelcjucs jours
de cette bonne brise , nous attrapions Hobart-Town ; là , nous
étions sauvés.
Mais le vent tomba, et nous restâmes en calme, ballottés par les
longues houles du grand Océan. Le mal faisait des progrès effrayants.
Au milieu de ses affreuses douleurs, Marescot avait conservé
toute sa tête, toute la plénitude de son esprit ; il nous parlait
de son père, de sa soeur chérie, de son frère qu’il aimait tant;
il nous disait combien leur douleur serait cruelle ; pour lui, il
envisageait la mort avec calme.
Cependant, sa jeunesse luttait avec énergie; mais, hélas ! ce
n’était que pour prolonger son agonie.
Le 23 novembre, les vents qui s’étaient maintenus à l’O. pas-
sèi’ent au S. O. ; de lourds nuages noirs s’amoncelèrent sur nos
têtes, la mer grondait sous nos pieds , tout présageait un coup de
vent. Le soir, nous fûmes assaillis par un grain épouvantable ; la
mer était énorme. Quelle nuit, mon Dieu! deux officiers , vingt
matelots râlaient dans l’entrepont; chaque coup de tangage,
chaque lame qui déferlait sur la corvette, semblait devoir nous enlever
un de nos camarades.
Au jou r , je trouvai Marescot exténué, les violentes secousses
de la nuit lui avaient enlevé le peu de forces qui lui restaient ; i!
était tombé dans un état de somnolence presque continuel. Vers
cinq heures du soir, il parut reprendre un peu; c’était la dernière
lueur de la flamme qui s’éteint.
J’étais penché sur lu i, il me reconnut, et me serrant la main :
C’est fini, embrasse-moi, mon ami, me dit-il ; puis, faisant un effort
: « Tu mettras deux boulets à mes pieds , je ne veux pas que
les albatros se disputent mon cadavre »
Un instant après, je vis ses lèvres s’entrouvrir : « Mon père!
mon pauvre vieux père ! ! »
Ce furent ses dernières paroles, sa vie s’était éteinte avec elles.
J’avais perdu mon meilleur ami, et la marine un de ses officiers
les plus braves, les plus dévoués.
A m in u it, la mer élait encore grosse , le vent sifflait avec un
bruit lugubre à travers nos cordes ; la corvette tauguuit lourdement.
Tout ce qui restait d’hommes valides, tous ceux qui avaient
pu se traîner étaient réunis, pressés autour d’un sabord; tous
chérissaient Marescot.