Les vents étaient toujours à l’est, nous n’avions rien
de mieux à faire qu’à poursuivre notre route dans le
sud, jusqu’à ce qu’enfin nous trouvions les vents
d’ouest, dont nous sentions depuis si longtemps les
fortes houles. Bien que la maladie parût stationnaire,
plusieurs malades couraient des dangers réels. Sur
V Astrolabe, MM. Roquemaurel, Demas, Dumoulin, Desgraz
étaient fortement menacés. Les deux premiers
ne tardèrent même pas à suspendre leur service.
Les maîtres furent obligés de remplacer nos officiers,
presque tous alités ; et cependant, malgré tous nos
désastres, on n’eût pu apercevoir, parmi ces jeunes
officiers pleins de courage et même parmi nos matelots,
le moindre signe d’abattement et la moindre
hésitation. La maladie allait frappant de tous côtés
dans le faux-pont, comme dans le carré de l’état-ma-
jor, et cependant rien ne trahissait au dehors les émotions
que chacun ressentait. Sur l’avant du navire, le
quartier-maître Surin, le pêcheur le plus adroit du
bord, tenait toujours son harpon à la main, prêt à
frapper le poisson qui s’approchait de lui. Au loin,
on apercevait une baleine lançant l’eau par ses évents,
mais Surin visait à une capture plus modeste ; bientôt
un marsouin, du poids d’au moins 200 kilog.,
fut capturé par cet adroit harponneur. Il fut le bienvenu
à bord, non-seulement il procura un moment
de distraction à l’équipage, mais sa chair, distribuée
entre toutes les gamelles, composa deux repas de
viande fraîche, dont les estomacs délabrés de nos
hommes avaient grand besoin.
La corvette la Zélée commençait à être plus maltraitée
que VAstrolabe. Comme nous, elle comptait deux
officiers dont l’état empirait chaque jour ; mais, parmi
ses matelots, elle devait fournir de plus nombreuses
victimes. « A cinq heures du soir, dit M. Jacquinot,
la mort vint de nouveau éclaircir nos rangs, en nous
enlevant le nommé Helies, matelot de deuxième classe.
Ce marin provenait de la corvette Y Ariane; il n’avait
été embarqué sur la Zélée que lors de notre relâche à
Valparaiso. Quelques minutes avant d’expirer, il avait
encore toute sa connaissance, et il s’entretenait familièrement
avec ses amis.
« Le 10, à quatre heures trente minutes du matin,
je fus prévenu que le nommé Salasse, maître calfatde
première classe, venait d’expirer. Quinze jours auparavant,
je l’avais vu sur le pont, plein de santé.
Rien ne pouvait faire présager la triste fin qui lui était
destinée. Ce maître, jeune encore, était parvenu de
bonne heure au grade qu’il occupait. Il avait mérité
son avancement par sa belle conduite, par son intelligence
et son dévoûment. C’était un homme de confiance
et de ressources, dont la perte fut également
sentie, et par les officiers et par l’équipage. Chez lui,
la maladie avait fait, des le début, de rapides progrès;
jusqu’à l’instant de sa mort, il avait eu à supporter des
souffrances très-aiguës.
« Le 14, ce fut le tour du matelot de deuxième
classe Billoud; il expira à six heures du matin. C’était
la cinquième victime à bord de la Zélée, depuis
notre départ de la Malaisie, et nous pouvions présa-
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