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la misaine, et si notre grande voile n’avait pas été déchirée dans la
soirée, je ne doute pas que nous n’eussions promptement regagné
ce que nous avions perdu. Nous continuâmes à courir des bords
jusqu’à huit beures du matin sous une voilure faible à cause du
vent, et nous nous trouvâmes alors très-près du fond du golfe de
la banquise, dans sa partie N. 0 . Nous reprîmes les amures sur
la terre, eu attendant que nous eussions pu enverguer une n o u velle
grande voile et un petit foc, ce qui ne put être fait avant onze
heures et demie, malgré les efforts de nos hommes; beaucoup
d’entre eux avaient eu , dans la journée du 24, des doigts gelés ;
plusieurs même, saisis par le froid, étaient tombés malades dans
la nuit. Fufîn, peu à peu nous fîmes notre besogne, et avant midi,
nous avions une voilure convenable, qui nous mit bientôt en position
de n’avoir plus rien à redouter.
Depuis ie matin, le temps s’était considérablement embelli et
J’hoj'izon éclairci. Après avoir parcouru tout l’horizon sans voir
XAstrolabe, qu’une vigie veillait depuis le matin, toutes nos inquiétudes
se portèrent sur notre pauvre compagne, qui aurait pu
éprouver quelque avarie, ou rencontrer quelque glace pendant
la nuit, et disparaître sur-le-champ. \JAstrolabe était dans toutes
les bouches, et tous les yeux la cherchaient constamment; aussi,
quand à cinq beures du soir la vigie la signala à grande distance
au vent à nous, tous les coeurs se trouvèrent-ils soulagés d’un
poids affreux. Elle grossit rapidement, et nous la vîmes bientôt
courir sur nous dès qu’elle nous eut aperçus; à sept heures et
demie, elle était près de nous à la distance ordinaire. N’ayant probablement
pas éprouvé les mêmes avaries que nous, elle avait
pu, pendant la nuit, s’élever bien plus au vent à nous, et ne nous
revoyant plus, au jour elle avait laissé porter pour venir nous
chercher. Si elle avait vu, la veille, nos écoutes de hune partir
successivement, et plus tard nos voiles déchirées, elle a dû avoir
sur notie sort de bien grandes inquiétudes, et vraiment il y avait
de quoi, car, dans toute la campagne, nous ne nous sommes jamais
trouvés dans une position aussi critique : tout était contre nous;
si le temps avait duré vingt-quatre heures de plus aussi mauvais
qu’il élait le 24 au soir, je ne doute pas qu’il ne nous fût arrivé
malheur. La banquise élait tellement compacte, qu’elle ne nous
offrait même pas la ressource d’un abri , si nous y avions élé
acculés entièrement; quant à la terre, il n’y fallait pas songer,
car elle était entièrement inabordable. Notre seule ressource,
celle de nous soutenir à la voile, nous élait enlevée par la perte
de nos voiles et l’impossibilité où le froid avait mis nos hommes
de tirer de leur courage tout le parti possible. Du reste, je dois
leur rendre la justice de dire que tous se sont comportés en
vaillants matelots; pas un n’a faibli devant la peine et le danger,
et tous ont travaillé autant que leurs forces le leur ont permis
; plusieurs sont restés plus de six heures dans la mature ; aussi
un assez grand nombre a -t-il quelque partie du corps gelée.
C’est dans de semblables circonstances qu’on apprend à apprécier
el à juger les matelots ; en général, on peut dire qu’ils grandissent
avec les dangers et la misère ; ce sont des hommes que l’on ne
peut connaître dans les circonstances ordinaires de la navigation,
et auxquels on rend trop rarement la justice qu’ils méritent.
Après avoir couru toute la nuit du 29 au 3o dans une mer
assez libre, mais grosse, nous nous trouvâmes,le 3o au matin,
à petite distance d’une banquise basse, tenant à une partie haute,
que dans la brume nous prîmes d’abord pour la teri e; mais nous
en étant approchés, nous reconnûmes , à notre grand chagrin ,
que ce n’était qu’une immense glace plate, qui s’étendait à perte
de vue dans le S. O. Nous la prolongeâmes à trois milles environ,
depuis sept heures du matin jusqu’à minuit, qu’elle s’infléchit
vers le sud, où nous la perdîmes de vue au milieu d’une infinité
de glaces flottantes qui, sans doute, ne sont que les débris de la
grande. Pendant tout le jour, nous avions vu par-dessus cette côte
glacée une apparence de terre éloignée et haute, que la brume nous
empêcha de constater complètement. Cette île immense, que nous
avons côtoyée pendant l’espace de vingt lieues environ, est généralement
d’une hauteur de 3i mètres, deux circonstances qui ne
peuvent exister sans qu’une terre serve d’appui à une telle
masse. (A/, Montravel-')