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et bientôt il se trouva sans guides. Le rivage de la
mer n’était heureusement qu’à quelques pas de là, et
il lui fut facile de regagner le village, où il se réunit à
plusieurs autres officiers. Certes, d’après ces faits partiels,
je serais injuste de vouloir incriminer le caractère
général de cette peuplade, qui aujourd’hui fait partie
des sujets de la Hollande, mais ils prouvent au
moins combien on doit se méfier de ces hommes
à demi sauvages qui, n’ayant gagné à la civilisation
qu’on leur a fait connaître, que des besoins, sans les
moyens de les satisfaire, sont toujours prêts à massacrer
l’étranger sans défense, dont les dépouilles ont
tenté sa cupidité.
Le lendemain, à cinq heures du soir, nous étions
encore en vue de la terre du mouillage, et tout près
de l’île Saradang; les naturels de Radja-Bassa nous
avaient fait leurs adieux dès la veille, et nous ne les
revîmes plus. Pendant la nuit les courants, à l’aide
du calme, avaient agi différemment sur les deux navires,
ou bien les faibles brises qui nous venaient de
terre avaient été tellement irrégulières, que V Astrolabe
était presque entièrement dégagée du canal, lorsque
la Zélée se trouvait encore à la place de la veille.
Toutes nos manoeuvres tendirent à nous rapprocher,
mais inutilement; à six heures, le tonnerre se fit
entendre , et bientôt nous fumes assaillis par un
fort grain chargé de pluie, qui permit enfin à nos
corvettes de reprendre leur position respective et de
continuer leur route. La pluie fut de courte durée,
de gros nuages noirs nous entouraient de tous
côtés, l’un d’eux semblait Rabaisser vers la mer; plusieurs
colonnes noires et effilées descendirent vers
la surface des eaux, fort agitées. Bientôt une de ces
colonnes prit de l’extension et vint toucher la mer
par une de ses extrémités, nous aperçûmes alors
une trombe bien formée ; la colonne resta entière
15 minutes environ sans éprouver de déformation,
puis elle se rompit et disparut. Pendant toute la durée
du phénomène, le tonnerre avait cessé de gronder,
mais aussitôt que la colonne fut rompue, les éclairs
sillonnèrent le ciel dans toutes les directions, la foudre
éclata et fit entendre ses roulements prolongés ;
nous fûmes bientôt aussi assaillis de nouveau par la
pluie, qui continua à tomber pendant toute la nuit.
Les fortes houles du sud agitaient nos corvettes à
notre réveil du lendemain. Nous étions enfin rentrés
dans le grand Océan; les hautes montagnes du détroit
delà Sonde s’élevaient bien encore au-dessus de l’horizon,
derrière nous, mais bientôt elles nous furent masquées
par la pluie, qui ne cessa de tomber pendant
vingt-quatre heures. Ce fut au milieu des brumes
que nous fîmes nos adieux à ces belles terres hollandaises,
qui, à quelques jours de là, devaient nous
faire payer si cher le plaisir que nous avions eu à visiter
leurs côtes insalubres.
Douze hommes alités à bord de la Zélée, huit malades
à bord de VAstrolabe, tel est l’état sanitaire de
l’expédition au moment où nous laissons ^le détroit
de la Sonde derrière nous, pour rentrer dans l’Océan.
Tous sont attaqués par la dyssenterie, mais au-
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