
figures, et d'ailleurs on n’y songeait plus; l’écriture purement
phonétique, l’écriture, qui répond directement
aux sons articulés, se propageait et se simplifiait de jour
en jour. La science était moins profonde, mais plus
générale; les mots n’avaient plus la même précision, mais
ils étaient plus nombreux ; l’aspect des caractères ne
donnait plus directement l’idée ; il fallait définir tous les
termes et confier ces définitions à la mémoire abandonnée
à elle-même, mais chacun apprenait facilement à
écrire les sons bien connus de la langue maternelle. Le
même alphabet servit à des dialectes différents au-dessus
desquels n’existait plus une écriture commune et
philosophique, et quand des idiomes hybrides se formèrent,
les racines perdirent le caractère qu’elles avaient
conservé dans les langues primordiales ; elles cessèrent
de produire des dérivés dans un ordre certain de formation.
Dès lors le secret des signes graphiques fut entièrement
perdu ; l’orthographe ne fut plus d’accord avec
la prononciation, le langage ne put reconquérir sa rigueur
primitive.
L’obscurité et l’ambiguité des termes, la nécessité de
tout définir et de surcharger la mémoire, amenèrent la
lenteur des études, et la formation d’une langue spéciale
pour chaque science et pour chaque métier, et dans
la suite l’oubli ou la négation de la science universelle.
Et quelques philosophes songeant aux vices des langues,
aux abus que ne cessent d’en faire les passions et
l’ignorance, en vinrent à accuser la parole d’être un
obstacle au mouvement de l’esprit et au progrès de la
raison. Combien une telle erreur est éloignée de la vérité
! La parole, même sous une forme imparfaite, est
toujours le signe et l’instrument par excellence de la
raison.
Quand l’unité primitive sembla périr en se cachant
sous des rameaux sans nombre, une oeuvre nécessaire,
progressive et providentielle fut accomplie. Par là, le
monde fut peuplé complètement ; par là, chaque tribu,
chaque classe sociale, scientifique ou industrielle put s’isoler,
se renfermer dans les limites étroites d’un domaine
terrestre ou intellectuel, pour en tirer tous les avantages
possibles et servir plus tard les intérêts généraux de
l’humanité.
Aujourd’hui la science va passer de l’étude des rameaux
à celle de la tige ; elle va chercher à reconquérir l’impérissable
unité, mais en la reconstituant elle respectera les
aptitudes et les fonctions des groupes nationaux. Chaque
idiome devra conserver son caractère original et se développer
suivant son génie, mais l’étude des langues sera
de plus en plus simplifiée par les moyens que nous
fournit la philologie et surtout par le rétablissement d’un
lien commun.
Ce lien commun, nous n’avons pas à l’inventer, nous
n’avons pas à le chercher bien loin : il existe depuis des
milliers d’années.
S’il est vrai comme le démontre l’histoire de l’écriture,
et comme je viens de le prouver; s’il est nécessaire que