
2° L’Intelligence des signes graphiques de la pensée’
ou G r a p h o n o m i e ;
Et ces deux sciences répandraient les plus vives lumières
sur l’histoire de l'humanité, puisque les mots,
compris dans leur sens intime, seraient les témoins
irrécusables de la croyance des peuples ; puisque la liste
des noms successifs d’un objet, serait le tableau du développement
et de la filiation de tout un ordre de
pensées et de sentiment. Il avait entrevu cette vérité le
philosophe qui a écrit dans un essai de grammaire générale
: puisque la terre est ronde, il doit y avoir dans
l’autre hémisphère un continent opposé à l’ancien, et qui
lui fasse contrepoids. Ainsi raisonnait Colomb. Disons
comme lui : puisque les mots sont les signes des idées,
Thistoire du langage doit renfermer l’histoire de toute
philosophie ; et l’origine de la parole une fois expliquée,
doit donner le principe des connaissances humaines. —
Qui sait si par elle on n’arrivera pas au premier principe,
à l’aphorisme, à la hase des déductions et des raisonnements,
au critérium tant cherché?
La philosophie du langage vient seulement de naître
parce quelle n’a pu trouver plus tôt les conditions nécessaires
à son existence. Comment serait-elle née quand
chaque famille, chaque tribu, chaque peuple proclamait
sa patrie le centre du monde, le séjour unique des dieux ;
quand chacun se croyait dans son orgueil naïf, l’homme
par excellence, le fils du ciel, le saint, le parfait, parlant
la langue divine, tandis que l’étranger était le fils des
démons, le tchandala, le goï, l’infidèle, le barbare au
langage impur et confus ? Comment aurait-on pu dresser
la table des langues et des dialectes quand les émules de
Colomb n’avaient pas exploré le globe d’un pôle à l’autre,
découvert les îlots perdus dans l’immensité de l’Océan,
les peuplades cachées dans les gorges des montagnes
inaccessibles, dans les déserts de l’Afrique centrale? Qui
aurait jamais pu nous révéler les nombreux et patients
efforts par lesquels l’homme est arrivé à peindre successivement
les sensations du sauvage, les exploits du
héros, les méditations du philosophe ; si nous avions
ignoré l’existence de ces livres chinois qui racontent,
avec des détails précis et des dates certaines, l’invention
et les progrès de l’écriture (1); si la main de la science
n’avait pas soulevé le voile qui couvre, depuis des
milliers d’années, la grande figure de l’antique Isis ; si
des génies patients n’avaient pas retrouvé la langue de
Zoroastre, et déchiffré les mystérieux caractères des
époques primitives ?
Toutes ces découvertes, toutes ces conquêtes glorieuses
sur le monde et sur les siècles étaient les conditions
indispensables de l’existence de la philosophie
du langage ; mais pour faire sentir la nécessité de de-
(1) (Environ 3,369 ans avant notre ère.) Voir le commentaire
de Khoûng-tseo sur le hi-thsêu de Wên-wâng et de Tcheoû-
Koilng, intitulé tchouân ou traditions.