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impraticable. Il est hors de doute, d’après ce que je viens
de dire, que les Chinois ne peuvent plus avoir une langue
alphabétique et qu’ils conserveront désormais leurs caractères
hiéroglyphiques. M. Léon Vaisse partage à cet
égard l’opinion de M. de Guignes. C’est en partie à l’imperfection
de notre système de transcription que tient le
petit nombre des valeurs phonétiques que l’on assigne
aux Chinois. Le dictionnaire composé en Chine par l’ordre
de l’empereur Khang-hi présenta en effet une liste de
36 consonnes et de 108 voyelles ou diphthongues que
notre alphabet ne nous fournit pas le moyen de distinguer
toutes par l’écriture.
§ XIII. É C R I T U R E C H IN O I S E .
Caractères reales non nominales qui silicet nec litte-
ras, nec verba, sed noliones exprimunt : ces paroles de
Bacon définissent exactement l’écriture chinoise telle que
l’a inventée, combinée, perfectionnée la haute antiquité.
C’est un tissu d’environ 200 images et symboles, qui
différemment assortis et mariés dans des caractères sans
nombre, sont une peinture de tous les objets de nos
idées : peinture sans illusion et sans couleur qui parle à
l’esprit par la vue ; rapproche les choses les plus disparates,
sans choquer la vraisemblance ; donne du corps aux
pensées ; spiritualise les êtres les plus matériels ; montre
à l’âme, ou plutôt lui fait voir en elle-même, les sentiments
et les idées dont elle lui présente les tableaux ;
peinture que l’on pourrait appeler l’alphabet des pensées
humaines, l’algèbre pittoresque des sciences et des arts.
Dans le vrai, chaque objet de nos connaissances y a
son caractère propre qui en est comme le portrait, et une
phrase debon style est aussi claire, aussi précise, aussi laconique
que la démonstration algébrique la mieux touchée.
Quelques caractères suffisent pour peindre un fait, un raisonnement,
une pensée, avec une force, une énergie, une
grâce dont aucune autre langue n’est capable. II faut lire
les King et les vers des grands poètes pour sentir combien
le coloris et h lumineux étincelant des caractères
aident à rendre vivement toutes les pensées. Chaque
point, chaque trait y parle à l’esprit, tôt linguoe quoi
membra. Rien de plus juste que cette énumération des
avantages des caractères chinois; il faut y joindre encore
la possibilité de les entendre sans savoir la langue chinoise.
On se sert de ces caractères en Gochinchine, en
Corée, au Tonquin, au Japon, et pour écrire ce qui a été
pensé en cochinchinois, en coréen, en japonais. Les savants
de tous ces royaumes entendent les livres chinois
sans savoir, ni avoir besoin de savoir un seul mot chinois;
la cour de Pékin fournit la Corée d’almanachs et dephé-
mérides. Les caractères chinois sont par rapport à ces
nations comme les chiffres arabes qui se lisent différemment
à Rome, à Madrid, à Paris, et présentent les mêmes
idées de nombre en termes différents. La raison en est
toute simple, les caractères chinois sont des signes immédiats
des idées et non des signes de sons et de mots,
In his explicandis dimilte scnsus, ciccipc sensum, a dit
Kircher ( Missionnaires de Pékin) . 6