
Et comme pour obtenir ces résultats on ne sera pas obligé
d’apprendre une seule lettre nouvelle, chacun pourra sans
peine écrire les mots étrangers avec les caractères usités
dans son pays, et le rétablissement de la forme originale
sera toujours correct. Ainsi l’Européen ne représentera
jamais par une lettre un point voyelle ou diacritique de
l’hébreu et de l’arabe, ou l’a bref inséparable de la consonne
dans le syllabaire Dèvanàgari ; il ne remplacera
pas une lettre indienne ou sémitique par deux ou trois
lettres romaines ; et les Orientaux n’altéreront plus les
mots empruntés aux langues occidentales. Enfin c’est à
l’aide de cet alphabet qu’on pourra faire comprendre à
tous la valeur des racines primitives fournies par l’onomatopée,
et signaler dans l’écriture actuelle les traces de
l’hiéroglyphe figuratif et de l’hiéroglyphe mimique. En
un mot, il s’agit moins de créer un alphabet nouveau
que de trouver la loi générale et féconde du rapport des
signes graphiques de la pensée chez les différents peuples.
— Je montrerai, dans la seconde partie de ce Mémoire,
que cette tâche n’a rien d’impossible. Mais ce qu’on peut
regarder comme chimérique, c’est l’espoir d’abolir toutes
les complications de l’écriture, et de faire adopter par tous
les peuples un caractère phonétique restant à jamais uniforme,
et que le bourgeois de Paris et celui de Péking
pourraient lire et tracer avec la môme facilité, malgré la
conformation différente des organes de la voix ; malgré
l’opposition des idées esthétiques qui déterminent nécessairement
la forme des caractères. Car, pour le dire en passant,
l’art d’écrire est celui qui garde la plus forte empreinte
de l’âme et du coeur des peuples. Voyez les formes
originales et bizarres du chinois, les lettres hastiformes du
Scandinave. Le sanscrit avec ses ornements gracieux et
ses formes capricieuses nivelées par une large barre horizontale,
n’est-il pas l’image de l’Inde rêveuse et passionnée
qui s’agite sous l’éternel niveau du Bramanisme?
Les traits maigres et rapides du phénicien semblent une
page détachée tout fraîchement d’un livre de compte, et
ces mêmes caractères prennent sous la main des Grecs
des proportions plus gracieuses que celles du magadha
et de l’hymiarite, et non moins nobles que celles des
alphabets de Ninive .et de Babylone. Sous la plume pesante
des enfants du nord, les lettres latines deviennent
raides et aiguës comme les sapins, comme le toit du
donjon, la flèche de la cathédrale et l’épée du chevalier,
tandis que l’arabe avec ses courbes gracieuses rappelle
à la pensée le cimeterre d’Ali, les dômes arrondis des
mosquées, et le croissant des Osmanlis ; tandis que les
caractères français de la renaissance unissent dans une
heureuse proportion la grâce hellénique, la simplicité
romaine et la vigueur gothique.
11 est impossible aux gouvernements d’imposer aux
peuples un alphabet nouveau, Claude et Chilpéric n’ont
pu obtenir l’introduction de quelques lettres doubles. Le
prestige de la gloire littéraire n’a pas plus d’autorité que
la puissance des rois ; Voltaire n’a pas réussi à réformer
l’orthographe française. L’histoire de l’écriture nous