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que pas un pouce de terre dans toute l'aire & le contour cîu creux du
F u y , qu'on ne cultive avec un ibin extrême , & qui ne foie d'un trèsgrand
rapport en bled, en légumes , en fruits ; ii on excepte le vin qui
n'eii pas des meilleurs , tout le refte a un degré de bonté égal à ce qui
fe recueille de mieux en ce genre dans le bas Languedoc.
Je n'entre dans ces détails que pour vous mettre à por tée de juger de
l ' e f f e t que doivent faire du haut de la montagne de Saint-Benoît ^ tous
•ces rideaux revêtus de pampres ou couverts de moilîbnj ce fpeftacle ef t
<l'autanr plus agréable , que non feulement chaque vigne a ici fa guing
u e t t e enduite d'un crépi d'une blancheur éblouiiîante , mais que les
t e r r e s elles-mêmes préfentent une variété de couleurs tout-á-fait furprenante
, on diroit qu'on les a teintes en rouge obfcur, en noir d'ébene ,
ailleurs en blanc fale , ou en bleu célefte ; ce font les pouzzolanes, les
laves décompofées , les terres cuites mêlées d'engrais & de détrimens
de végétaux , les matieres calcaires, fur-tout celles qui ont reçu des
coups de feu , qui opèrent toutes ces bigarrures.
T o u t ceci néanmoins ne frappe que médiocrement, eu égard à l'impreflion
qui réfulce des objets qu'étale le plan de ce vafte entonnoir ;
on croit être fubitement tranfporté en Egypte , en voyant trois maiTes
•de rocher ifolé , qui , nées du centre des deux plaines verdoyantes ,
s'élevent majeftueufement dans les airs à 2 , à 4 & jufqu' à 500 pieds
de hauteur perpendiculaire : l 'étonnement redouble à mefure que l'on,
apperçoit une grande ville qui s'éleve par gradation autour de la plus
haute de ces malíes , dont elle n'atteint cependant pas le fommet : une
feconde , à côté de cel le-ci , qui a un oeil jaune d'un bout à l'autre , &:
qui joue d'autant plus parfaitement l'obélifque , que le clocher d'une
jolie chapelle qu'on a bâtie deiTus , la termine en pointe aiguë , fur une
bafe de plus de'60 toifes de circonférence: une troifíeme , beaucoup
plus vafte , qui de fon faîte entouré de murailles , darde dans les airs
une grande tour quarrée qui pourroit au befoin fervir de phare à une
partie du Forez, de l'Auvergne , du Vivarais & du Velay : que fi à
l'eff'et de ces pyramides , on ajoute celui d'une plaine en jardins, en
vergers, en prairies, enfuperbes enclos ,arrofée d'une riviere &d'un grand
ruiiTeau qui en font une prefqu'île , traverfée par des canaux bordés de
faules & de peupliers , embelli enfin de tout ce que l'art a pu ajouter
à i a nature , on conviendra néceflairement que rien ne manque ici de
c e quipeut concourir à former laplus riante peripeftive, je doute même
que l'on puiife trouver en France ni ailleurs un enfemble plus iîngulier ,
plus bifarre, plus varié, & par là même plus pittorefque que celui-ci.
La ville du Piiy, toute grande qu'elle eft , eft ent ièrement bâtie de
laves c'eit ce que les habitans ont ignoré jufqu'ici ; combien même
feront-ils révoltés d'apprendre qu'ils doivent aux volcans, non feulemenc
la fertilité de leur terroir, mais encore les matériaux dont font conft
r u i t e s leurs maifons ! Il y a de belles rues, de beaux quartiers ; mais •
vue de près elle ne tient pas tout ce qu'elle promettoit de loin, cela
doit être naturellement ainfi ; toute ville difpofée en emphythéatre, a
d'ordinaire plus d'apparence que de réalité; à mefure que les édifices
f e dégagent les uns de derriere les autres , ils donnent , il eft v rai , au
t o u t , un air plus impofant , mais ils n'en font que d'un plus difficile
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abord. Au Fuy il faut fe mettre hors d'haleine pour parvenir du bas
de la ville à la hauteur du plan de l'églife cathédrale ; mais ceci n'eft
compté pour rien par une infinité de peuples qui vont journel lement y
rendre leurs hommages à la Vierge. La principale avenue de ce iingulier
édifice eft des plus remarquables : c'eft d'abord une fuite de plans inclinés
, qui fe hauflent les uns fur les autres, & qu'il faut franchir pour
parvenir au frontifpice méridional de l'églife j ici s'ouvre une haute &
large voûte , fous laquelle on continue à monter , & ce n'eft que par une
rampe de 118 degrés, qui regne fous cette même voûte, qu'on s'éleve
jufqu'au portail de l'églife ; ce que celui-ci a de plus rare , ce n'eft pas
précifément d'être à deux battans de bronze cifelés , ornés de colonnes
& de pilaftres de porphyre, mais d'exifter au centre de l'intérieur de
l'édifice , enforte que ceux qui entrent par cette porte , furgiflènt en
quelque maniere de deflbus terre , & fe trouvent juftement au milieu
de l'églife à mefure qu'ils .mettent le pied dedans; ceci fe comprendra
aifément, fi l'on fait at tent ion qu'une grande moitié de l'églife de Notre-
Dame du Fuy , eft j e t é e en avant d'une defcente fort rapide ; il a donc
fallu foutenir en l'air toute la partie de cet édifice gui domine fur cette
defcente , & c'eft la fonûion que fait la voûte dont j'ai parlé J elle eft
foutenue &: terminée elle - même de ce côté-ci par une magnifique
aronde de 50 ou 60 pied de haut fous clef, & d'environ 25 d'ouverture.
T o u t ce qui eft bâti fur cet arc confifte en une maniere de fronton dont
le tympan eft percé de grands vitraux cintrés au tiers-point i les trumeaux
qui les féparent font échiquetés à grands carraux de diverfes
couleurs, & ornés de petites colonnes jumel les,pofées deux à deux fur un
feul focle , Si fous une même architrave. L'enfemble de cette façade
réfulte donc des deux grands pilaftres qui fupportent l'arcade delà magnifique
rampe qui fuit dans l'intérieur de la voûte , & du maffif qui couronne
le tout. Cet ouvrage, d'un goût d'archi tef lur e gothique,peu recherché
, ne laifl'e pas que de frapper par fa fingularité , & quand on le voit
pour la premiere fois du bas de la rue des Sables, on le contemple avec
admiration. L'églife eft à trois nefs , celle du milieu partagée en deux
choeurs, l'un en avant de la porte d'entrée , au fond duquel eft la fainte
chapelle , l'autre à l'oppofite , fur la voûte même qui couvre le grand
efcalier ; ceux que la curioiité attire ici, trouvent abondamment de
quoi la fatisfaire , foit par la beaut é £c l'élégance de la fituation intérieure
de l'édifice, foit par la multiplicité des peintures, desfculptures,
des teillages en fer qu'on y voit de toutes parts ; on eft pénét r é d'une
religieufe frayeur fous ces voûtes facrées , où la Vierge eft honorée
dès les premiers temps du chriftianifme, Scce n'eft qu'après avoir donné
un libre cours aux fentimens de dévotion qu'on éprouve dans ce faine
lieu, qu'onfe permetd'en confidérer les beautés, alors même les regards
tombent de préférence fur les monumens de toute efpece que les fouverains
pontifes, les rois Se les peuples y ont laiflés de leur piété & de
leur recoanoifl'ance envers la mere de Dieu ; un des plus touchans ,
c'eftune quantité confidérable de chaînes, de menottes Sc fur-tout d'un
poids énorme qui pendent d'une poutre qui eft au delTus de l'entrée
du grand efcalier qui conduit dans l'intérieur de cet augufte fanftuaire;
ces triftes objets prouvent, que ce n'eft pas en vain que d'infortunés