ti DI S C O U R S S U R
» plus volontiers des ordres que je vous aurois demandes.
» II étoit à Mifene où il commandoit la flotte. Le 25 d'août, en-
>) viron une heure après midi, ma mere l'avertit qu'il paroiflbit un
H nuage d'une grandeur 6c d'une figure extraordinaire. Après avoir été
» quelque temps couché aufoleil, felon fa coutume , 6c avoir bu de
» l'eau f roide, il s'étoit jette fur un lit où il étudioit. Il fe leve &
» monte en un lieu d'où il pouvoit aifément obferver ce prodige. Il étoit
» difficile de difcerner de loin de quelle montagne ce nuage fortoitj
M l'événement a découvert depuis que c'étoit du mont Véfuve. Safigure
» approchoit de celle d'un arbre, & d'un pin plus que d'aucun autre ;
M car après s'être élevé fort haut , en forme de tronc, il écendoit une
» efpece débranché. Je m'imagine qu'un vent fouterrain le poufîbit d'a-
» bord avec impétuofité 6c le foutenoit. Mais foit que l'impreflion dimi-
» nuâtpeuà peu, foi tquece nuage fûtaf fai f lëpar fonpropr e poids , onle
» voyoit fe dilater & fe répandre. Il paroiflbit tantôt blanc , tantôt
» noirâtre, & tantôt de diverfes couleurs, felon qu'il étoit plus chargé
» ou de cendre ou de terre. Ce prodige furprit mon oncle qui étoit très-
» favant, & il le crutdigne d'être examiné deplusprès. Il commande que
» l'on appareille fa frégate l é g e r e , & me laifle la liberté de le fuivre.Jelui
» répondis quej'aimoismieuxétudier; & par hafard il m'avoitlui-même
» donné quelque chofe à écrire. Il fortoit de chez lui , fes tablettes à la
» la main, lorfque les troupes de la flotte qui étoient à Rét ine,effrayées
» par la grandeur du danger ( car ce bourg eil précifément fur Mi fene,
>} & on ne s'en pouvoit fauver que par la mer ) vinrent le conjurer
» de vouloir bien les garantir d'un ii affreux péril. Il ne changea pas
» de deiîein, 6c pour fuivi t , avec un courage héroïque , ce qu'il n'avoic
)) d'abord entrepris que par iimple curiofîté. Il fait venir des galeres,
)) monte lui-même deflus , & part dans le deflein de voir quels fecours
j) on pouvoit donner., non-feulement à Rét ine, mais à tous les autres
)) bourgs de cette côte, qui font en grand nombre à caufe de fa beauté. II
» fe prefîe d'arriver au lieu d'où tout le monde fuit & où le péril
» paroiifoit plus grand ^ mais avec une telle liberté d'efprit, qu'à me-
» fure qu'il appercevoit quelque mouvement ou quelque figure extraor-
3) dinaire dans ce prodige , il faifoit fes obfervations & les didoit.
» Déjà fur fes vaifleaux voloit la cendre plus épaiffe & plus chaude , à
}) meiure qu'ils approchoient. Déj à tomboient autour d'eux des pierres
)) calcinées &. des cailloux tous noirs , tous brûlés, tous pulvérifés par
>) la violence du feu. Déj à la mer fembloit refluer, & le rivage devenir
» inacceffible par des morceaux entiers de montagne dont il étoit cou-
» vert} lorfqu'après s'être arrêté quelques momens, incertain s'il re-
« tourneroit, il dit à fon pilote qui lui confeilloit de gagner la pleine
» mer : la fortune favorife le courage ; tourne':^ du côté de Pomponianus.
» Pomponianus étoit à Stable , en un endroit féparé par un petit
jï golfe que forme infenlîblement la mer fur ces rivages qui fe cour-
» bent. Là , à la vue du péril qui étoit encore éloigné , mais qui fem-
» bloit s'approcher toujours , il avoit retiré tous fes meubles dans fes
» vaifleaux, & n'attendoit pours'éloigner qu'un vent moins contraire.
» Mon oncle , à qui ce même vent avoit été très - favorable, l'aborde ,
» le trouve tout tremblant, l'embraflê, le raflure , l'encourage ; 6c
» pour
L E â VOLCANS BRULANS. ij
» pour diiTiper, par fa fécurité , la crainte de fon ami, il fe fait
» porter au bain. Après s'être baigné , il fe met à table 6c foupe
)) avec toute fa gaieté ^ ou ( ce qui n'eftpas moins grand) avec toutes
» les apparences de fa gaieté ordinaire. Cependant on voyoit luire de
» plufieurs endroits du mont Véfuve , de grandes flammes & des em-
» brafemens dont les ténebres augmentoient l'éclat. Mon oncle ,
)) pour raflurer ceux qui l'accompagnoient, leur difoit que ce qu'ils
» voyoient brûler c'étoient des villages que les payfans alarmés avoient
» abandonné-s,6cqui étoient demeurés fans fecours. Enfui t e il fe coucha
» 6cdormitd'un profond fommeilj car,"comme il étoitpuiffant, on l'enten-
» doit ronflerde l'antichambre. Mais enfin la cour par où l'on entroit danâ
M fon appartement, commençoit ài e remplir ii fort de cendres , quë
)) pour peu qu'il eût reilé plus long-temps , il ne lui auroit plus été
» libre de fortir. On l'éveille ; il fort & va rejoindre Pomponianus &
» les autres qui avoient veillé. Ils tiennent confei l, 6c délibèrent s'ils
n fe renfermeront dans la maifon ou s'ils tiendront la campagne ; car
» les maifons étoient tellementébranléespar les-fréquens tremblemens
» de terre , que l'on auroit dit qu'elles étoient arrachées de leurs fon-
» demens,8cjettées tantôtd'uncôté, tantôt de l 'aut re, 6cpuis remifes
» à leurs places. Hors de la ville la chute des pierres, quoique légères
» ôc deflechées par le feu , étoit à craindre. Entre ces périls on choific
» la rafe campagne. Chez ceux de fa fuite une crainte furmonta l'autre :
» chez lui la raifon la plus forte l'emporta fur la plus foible. Ils fortenc
» donc, &c fe couvrent la tête d'oreillers attachés avec des mouchoirs :
)) ce fut toute la précaution qu'ils prirent contre ce qui tomboit d'en
)) haut. Le jour recommençoit ailleurs; mais dans le lieu où ils étoient
» continuoit une nuit, la plus fombre 6c la plus affreufe de toutes les
» nuits, 6c qui n'étoit un peu diffipée que par lalueur d'un grand noni-
,> bre de flambeaux Se d'autres lumières. On trouva bon de s'approcher
j) du rivage , 6c d'examiner de près ce que la mer permettoitde tenter;
» mais on la trouva encore fort grofle ôcfort agitée d'un vent contraire.
» Là, mon oncle ayant demandé de l'eau & bu deux fois , fe coucha fur
» un drap qu'il fit étendre; enfuite des flammes qui parurent plus granÌÌ
des, &.une odeur de foufre qui annonçoitleur approche, mirent tout
» le monde en fuite. Il fe leve, appuyé fur deux valets , & dans le moï)
ment tombe mort. Je m'imagine qu'une fumée trop épaifle le fuffo-
» qua d'autant plus aifément, qu'il avoit la poitrine foible 6c fouvent
» la refpiration embarralfée.
» Lorfque l'on commença à revoir la lumiere ( ce qui n'arriva que
n trois jours après) on retrouva au même endroit fon corps entier,
» couvert de la même robe qu'il portoit quand il mourut, & dans la
« pofture plutôt d'un homme qui repofe, que dans celle d'un homme
» qui eft mort. ^ ,
» Pendantcetempsmamere 6c moinousét ionsà Mifene; mais cela
>) ne regarde pjus votre hiiloire , vous ne voulez être informé que de
» la mort de morì oncle. Je finis donc , & je n'ajoute plus qu'un mot :
» c'eft que je ne vous ai rien ditouque je n'aie vu, ou que je n'aie ap-
» pris dans ces momens où la vérité de l'aftion qui vient de fe paflern'a
1) pu encore être altérée j c'eft à vous de choifir ee qui Vous paroîtra
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