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de les faire connoître-, n'a pas même l'avantage de celui qui voudroic
décrire, par exemple , l'état aituei de ['Hécla. Ce volcan, comme chacun
f a i t , ne fait plus d'éruption depuis plufieurs années} peut-être n'eft-il
qu'aflbupi ainii que UVéfuve l'a été pendant les 500 ans de fuite , après
quoi il fe reveilla avec des fureurs nouvelles; peut-être auifi qu'il eft
abfolument éteint de même que ceux du Vivarais ; quoi qu'il en foi t , un
obfervateur moderne qui après l'avoir fuivi & étudié at tent ivement , voudroit
donner des détails fur ce qui le concerne, pourroit d'abord établir,
fans crainte d'être contredit,qu'une montagne enlflande,appellée YHéclaf
a été un volcan, au lieu que ii j e ve--ix articuler la même chofe de la Graycnne,
duPûZ, du pour peu de gens raifonnables qui acquiefçant
à la v é r i t é , me favent quelque gré de mes découvertes, une nuée
de frondeurs s'élève contre moi & me traite de viiîonnaire. En parcourant
auprès 6c au loin les environs de la montagne , il feroit aifé à cet
obfervateur de déterminer.laroutequ'ontpriscertaines laveS;, d'enfùivre
le cours, d'en noter la maniéré & les formes, d'en aûigner les différences,
ôcles identités ; mais ici la plupart des produits volcaniques font tellement
confondus les uns avec les autres,& cela fans aucune apparence
de cratere aux environs, qu'on eft fouvent embarraifé de décider à quel
volcan ils appartiennent, fi c'eft du nord ou du midi qu'ils font venus fur
la place qu'ils occupent, s'ils font le réfultat d'une ou de plufieurs éruptions
; on eft même quelquefois réduit à préilimer que telle roche, telle
monticule , telle colline ont été à la fois &.le volcan & fon produit-.
Enfin cet obfervateur fans pouvoir peut-être déterminer bien pofitivement
la premiere éruption àel'Hécla , trouveroit au moins dans la
tradition du pays des lumieres aflèz fûres pour établir comme autant de
faits incontertables,qu'il a duré pendant tant d'années ou même de fiecles-,
qu'à telle époque il ceflà de brûler, qu'à telle autre il fe ralluma 6c
vomit des fleuves d'eau bouillante qui inondèrent les campagnes & laif.
ferent après eux de larges & profonds ravins quifubfiftent encore : que
fais-je , il auroit le moyen d'embellir fon récit d'une infinité de faits ,
de circonftances, d'incidens de toute efpece d'autant plus intéreiTans qu'il
ne hafaderoit rien , & que tout porteroit l'empreinte du vrai. Il n'en eft
pas de même de nos volcans, tout ce qui a trait à leur hiftoire eft enveloppé
d'un voile impénétrable & va fe perdre dans la nuit des temps,
on ne fait ni dans quel temps ils ont éclaté, ni quelle a été la durée de
leur inflammation, ni depuis combien de fiecles il font éteints. On ignore
s'ils prirent feu à la fois oufucceiTivement,s'ils s'éteignirent tous enfemble
, ou les uns après les autres, & en ce cas quel intervalle ils mirent
entre leurs-excinélions refpedives. Sur toutceci & fur bien d'autres queftions
qu'on pourroit former fur la matiere préfente, il ne nous refte que
la refîburce des conje£tures; il me paroît pourtant qu'il ne feroit point
impoflible de démontrer que nos premiers aïeux en ont confervé quelque
tradition.
Tous ces nuages d'obfcurité répandus fur nos volcans du haut Vivarais,
joints, à une mince couche de terre végétale qui les couvre prefque
par-tout, ou enfin le peu de connoiiTance qu'on avoitdesmatieres volcanifées,
les avoient fibien cachés jufqu'ici à tous les naturels du pays,
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que moi qui vous les annonce, je n'en avois pas, i ly a deux ans , la plus
légere contioifîance. Je marchois depuis long-temps furie bafalte, j'étois
entouré de fes mafles, j'en admirois la bifarre configuration , mais
je ne favois feuleinent pas comment on le nommoit en françois, il ne
m'étoit connu que fous le nom de Peyre-Farrau que le vulgaire lui
donne dans ces cantons.
L a découverte de l'origine véritable de cette efpece finguliere de
pierre, a été la premiere & l'unique clef qui m'a ouvert le tréfor caché
de nos volcans; c'eft à vous , Monfieur, à qui j'en ai l'obligation; mais
pourquoi ne m'en fuis-je pas tenu là, fans me mêler de vouloir vous en
donner des détails ? je n'aurois pas le double défagrément de lie rouler
prefque jamais dans mes promenades que fur de la pierraille aiguë &
tranchante, & de n'avoir à exercer ma plume que fur des màtierès auiiï
brutes & auiTi dégoûtantes que le font celles-ci. C'eft ce qu'on peut
appeller véritablement des fujets de nature morte ; tout y eft morfle
& languiflânt, & fi la Fontaine a dit que les jardins parlent peu , fi ce
n'eft dans fon livre, je piiis vous certifier que des peloufes arides qui
couvrent des ponces, des fcories, des laves de plufieurs efpeces , difent
infiniment moins-
Cependant il faut être de bonne foi ; ces objets fi fees & fi ftériles
en eux-mêmes ceflent de l'être, confidérés fous de certains rapports. Ils
deviennent même très-féconds lorfqu'on en abandonne l'analyfe 6c le
détail, pour ne s'attacher qu'à leur enfemble. Delà vient que quand je
3iie trouve à fee parmi les cendres arides & les rochers calcinés, je n'ai,
pour réchauffer mon imagination, qu'à les confidérer en gros de deflus
quelque hauteur; à peine ai-je commencé à parcourir des y eux la grandeur,
l a multiplicité,, la variété dés mafles brûlées dont ce pays eft par femé, que j e
rombe dans un embarras contraire à celui dont je me plaignois, je veux
dire , que loin de manquer de matiere, j'en ai trop, 6cque je ne fais par
o u débuter. Tantôt je voudrois commencer par vous donner une idée
de nos rochers volcaniques , anticiper l'agréatle furprife oùvous jettera
immanquablement le premier aipeft de ceux de la Fare^ à'Arlempde, de
Goudet, de Corneille , de Saint-Michel, à'Expailly 6c de Polignac ;
vous décrire- en abrégé leur pofition , leur configuration , leur volume ,
l'habillement que le temps leur a donné, les excavations que les hommes
y ont.faites , les. vaftes édifices qui furent conftruits fur leur fommet,6c
dont les débris annoncent plus de huit ou dix fiecles d'antiquité. Tantôt
je me fens fortement attiré par le defir de vous faire l'énumération de
ces épouvantables amas de laves de toute eipece, d'où font réfultées les
collines de Coucourou^ de Denife , de Cheyras, les pics de Tartas, de
F our magne , de Brunellet, de la Croix de la Paille , tous objets volcaniques
dans toute leur folidité , 6c auprès defquels nos plus monftrueufes
roches , nos plus vaftes colonnades ne font, fi j'ofe m'exprimer ainfi,
que des produits avortons. D'autre part, ces gueules effroyables qui
ont vomi les uns 6c les autres, femblent exiger la préférence, 6c il m'éft
difficile, je l 'avoue, de ne pas m'attacher d'entrée de-jeu àpeindre d'immenfes
abîmes., tels que le creux du Puy ,d'où partoient anciennement
les matieres ardentes, les pierres fonduès, les foUfres 6c les bitumes
" Ce mocvulgaire ¿quivauc à celui de pierre ferrie ou pierre de'fer.