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prodigieux, fait de main d'homme, qui frappe, étonne ceux qui n'ont
jamais rien vu de femblable , les fixe en contemplation pendant des
temps confiderables , & les renvoie fouvent avec le chagrin de n'avoir
fu trop comprendre fi c'eil l'ouvrage des hommes, ou celui de la
nature.
O n les étonneroit bien davantage , fî Ton s'avifoit de leur raconter
tout ce qui en eft de l'origine primitive de ces objets qui caufent leur
furprife , c'eft alors que non feulement vous n'en feriez pas cru, mais
vous vous verriez en butte à leur moquerie , à leur indignation même,
j ' a i fubi ce fort en quelques endroits, ÔC nommément au P u j : j'étois
allé rendre au rocher de Corneille des hommages exaâement femblables
à ceux des paflans dont je "viens de vous parler ; j'avois choiiî pour
le lieu de mes obfervations, la magnifique terraiîe du féminaire, qui
tracée en équerre fur le flanc oriental de ce rocher applani, embrafle
environ la cinquième partie de fon circuit ; de l'angle de l'équerre
part un fentier qui vous conduit en ferpentant à travers un bofqueC
délicieux de charmille, entremêlé de pins jufques au nud du rocher:
là, cette fuperbe maiîe fe dégageant tout-à-coup de fes propres débris,
& ne préfentant qu'une furface unie 8c perpendiculaire dans une élévation
très-coniîdérable, montre à découvert tous les cara£leres delà
véritable fufion.
Defcendu dans l'allée , j' y rencontrai quelques eccléfiaftiques qui
jouoient à.la boule; je leur dis, fans trop m'arrêter, Scpour caufe, que
le rocher fur lequel ils raarchoient,étoit forti en fuiîon de deflbus terre;
à cette étrange nouvelle on commença par fe regarder en iîlence les
uns les autres, puis on partit, comme de concert, d'un éclat de rire auquel
je n'eus garde de ripoiler que par une prompte fuite.
-. Vous noterez en paiîant qu'un de la troupe venoit d'alligner pompeufement
à fes écoliers, dans ik chaire de phyfique , l'elTence certaine de
la lumiere , & la caufe indubitable du flux de la mer, ainfi que celle de
la chute & de l'attrailion des corps , &c. Avoient - ils tort ? non fans
doute j je n'eufle pas cru moi-même , il y a quelque mois, ce qu'ils regarderent
apparemment ôcavec raifon même comme une extravagance
& une abfurdité; je les excufe donc fans peine eux & d'autres, de ne
pas adhérer tout de fuite à une aflertion aufli finguliere que celle-ci.
C'eft préciféraent parce qu'on a lu , qu'on a étudié , qu'on eft inft
r u i t , qu'on n'eft pas tenu de croire fur fa parole un homme qui de but
en blanc vient vous dire que tous les rochers, toutes les pierres d'un
pays n'ont été anciennement que des pâtes molles 5c ardentes 3 que tous
ces prifmes polygones dont on a bordé les parapets des ponts, pour les
garantir du choc des voitures, ne font que des aiguilles d'une efpecede
c r y f t a l , d'abord liquéfiées par le feu , & qui enfuite en fe figeant ont
fuivi la marche invariable de la nature dans cette forte d'opération.
Tout ceci & une infinité d'autres chofes femblables , relatives aux
volcans & à leurs produits, demandent, avant de paiTer pour confiant,
d'avoir été approfondi dans de longs & férieux examens.
Mais ce qui me révolte , & ce que je ne puis digérer, c'eft que des
gens qui n'ont pas la plus légere teinture d'hiftoire naturelle , qui en
ignorent les termes aufli profondément que ceux de la marine ou de$
arts
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ans 8c métiers; qui ne favent pas même ce que c'eft qu'un volcan éteint
ou brûlant, fe préfentent fièrement pour entrer en lice avec vous, dit
puteht, criaillent jufqu'à extinâion de voix, & d'un air fottement capable,
impugnent à tort & à travers, je ne dis pas les preuves, mais
toutes les démonftrations que vous pouvez leur donner à ce fujet.
On les honore fans doute intérieurement de tout le mépris que me-,
rite l'orgueil enté fur l'ignorance , mais il faut à bon compte eJTuyer
leurs mauvais raifonnemens , leurs plaifanteries , leurs injures même.
Ce qu'il y a en ceci de rifible , c'eft que tel de ces doites perfonnages
qui s'obftinent à ne vouloir pas croire qu'un morceau de lave qu'on
lui préfente ait pu être liquéfié , eft le même qui vous articulera favamment
que les énormes pierres de taille que les Romains ont employées
à la conf trui t ion du pont du Gard, ou des arenes de Nifmes,onc
été fondues ; & fi vous leur demandez de quelle matiere étoit le moule
ou le fourneau dont on fe fervit, ou bien où l'on put trouver ailez de
bois pour une pareille opération , comptez qu'il ne fera pas plus embarraflé
de vous répondre , qu'il l'eft de réfoudre les argumens invincibles
par lefquels vous lui prouvez la fuiion du bafalte.
Les moins déraifonnables d'entr'eux voyant clairement la vérité 6c
ne voulant pas s'y rendre par cette mauvaife honte qu'on a d'apprendre
quoique ce foit de quelqu'un dont on eftime moins les lumières que
les fiennes propres, vous attaquent diverfement ; l'un vous dit, aucun,
auteur n'a parlé de cela, & i l eft bien furprenant qu'une pareille découverte
ait été réfervée à vous feul ; & moi je lui demande à mon tour fort
niodeftement, s'il a fouillé dans les bibliothèques, & s'il a lu tous les
auteursj puis j'ajoute que très-probablement ni les écrivains ni peutêtre
l'art d'écrire n'exiftoient pas quand les volcans ont innondé de laves
non feulement le Vivarai s & le Velay, mais encore une grande partie
du globe terreftre.
Un fécond qui a poufle toutes fes études jufques en humanité inclufivenient,
fe leve & dit, mais du ton le plus impofant : Céfar a pafle
dans ce pays-ci, nous en avons la preuve, j'ai lu fes commentaires 8c
il ne dit pas le mot de tous ces volcans; je lui réponds que Céfar & fon
armée en traverfant le Velay, avoient bien autre chofe à faire que d'en
examiner les pierres, &c s'il me pouflé je lui foutiens hardiment que
quand Céfar pafia, ce pays étoit couvert de neige.
Un troifieme qui a écouté tout ceci en filence, entrant brufquemenc
fur les rangs: je vous tiens, dit-il , s'il y avoit eu dans ce pays-ci des
volcans, la tradition, s'en feroit confervée, & les habitans qui auroient
été témoins de ces terribles incendies, n'auroient pas manqué d'en tranfmettre
la mémoire à leurs defcendans.
Je réponds à celui-ci qu'il eft faux qu'il n'exifte aucune tradition làdeflus,
qu'il y e n aune d'autant moins équivoque, qu'elle eft fondée fur
les noms des'lieux 8c des chofes; noms qui à parler en général font trèsanciens,
& expriment fort fouvent la qualité, la pofition, les propriétés
du terroir de ces lieux ou des accidens qui leur font furvenus, 8c fur
cela je lui fais pafler en revue Ardenne, Tartas^ les Infernets^ Fourmagne,
Peyre-Baille, Montchaud, Combe-chaudej Ufcladcy Moni-Vfclat,
la RougUle, Gueule d'enfer, Scc.
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