A V E R T I S S E M E N T .
Je joins ici, avec autant deplaißr que de reconnoijpince,ßx lettres intérejfantes,
que nia fait L'honneur de m'adrejjer M. l'abbé de Mortefagne^
natif de Pradelles dans le haut Vivarais, qui a fixé depuis plufieurs
années fa réfidence à Montelimar.
Il nous apprend lui-même dans la premiere de fes lettres, que le goût
de la lithologie eft venu le faifîr fur le déclin de l'âge ; mais cet eccléfiaftique
favant prouve par fes écrits que les glaces de l'âge n'ont pas à
beaucoup près refroidi la chaleur de fon génie. On trouvera dans ces
lettres de grands & magnifiques tableaux fièrement de0ïnés. Je comprends
d'avance que quelques naturalißes féveres auraient defiré peut-être moins
de poéfie & d'enthoufiafme, 6"plus de méthode dans les descriptions, plus
de fuite & d'inßruäion dans le détail technique ; mais je répondrai à cela
que M. l'abbé de Mortefagne a l'attention de prévenir qu'il ne promet pas
d'être toujours fcrupuleufement méthodique, & je dirai fur-tout qu'on
doit lui f avoir un gré infini de fon \ele & de fan amour pour la fcience^
la maniéré forte 6" vigour eufe avec laquelle il fronde l'ignorance & la Jotte
vanité des détracieurs de l'hißoire naturelle, ne peut que lui attirer l'efiimé
& la reconnoiffance des favans.
On doit dire encore qu'il eß étonnant que M. l'Abbé de Morteßigne
ait pu faire en fi peu. de temps , & dans un âge où les goûts font
peu vifs, autant de progrès en hißoire naturelle : enfin, je me fais un
honneur & un devoir, en rendant hommage aux talens de ce favant, de
dire qu'il eß le premier qui ait reconnu les volcans des environs de Pradelles
, & ceux de plufieurs parties du Velay j que c'eß d'après fes indications
que j'ai vu & étudié ce pays curieux. Si nos defcriptions différent,
c'eß que j'ai vifité plufieurs montagnes élevées, telles que le Mezinc , &c.
que M. l'abbé de Mortefagne n'avait pas été à portée de parcourir-, j'ai du
d'ailleurs entrer dans des détails que de plus longs féjours &des études préliminaires
m'avoient mis dans le cas de fuivre 6* de faire connaître plus
particulièrement.
J'ai pris la liberté de faire quelques notes au bas de ces lettres , lorfque
la nécejfité m'y a forcé : le goût dominant de M. l'Abbé de Mortefagne
me paroiffoit être la partie fyfiématique, je me fuis abßenu rigoureufement
d'en traiter mai-même , parce qu'il faut commencer avant tout
par recueillir beaucoup défaits, les fuivre, les étudier, les bien connaître ;
qu'en un mot je fentois combien cet objet était hors de mes forces & de ma
portée.
StSg
L E T T R E S
Oe M. l'Abbé DE mOKTESAGNE , à M. F AU JAS DË
SAINT - FOND.
P R E M.I E R E LETTRE.
De Pradelles, le i " juillec 1776.
M O N S I E U R ,
J E VOUS tiens parole, Sc fans autre prétention que de vous faire parc
de mes découvertes, pour vous engager à venir les voir fie les perfectionner
vous-même, 8c les rendre enfuite publ iques, je vais vous tracer
ce que j'obferve journellement fur les volcans éteints du plus haut
Vivarais & d'une partie du Velay i je les parcours depuis quatre mois
avec une afliduité infatigable, & je puis vous afliirer que li le goût de
la lythologie que vous avezfum'infpirer, efl venu me faifir , je ne fais
comment, fur le déclin de l'âge, j'en fais certainement unrude apprentifl'age.
Il n'y a pas feulement du défagrément à errer parmi les rochers,
& fur-tout au milieu de ceux qui font l'pbjet de mes recherches, àdefcendre
dans des vallées profondes par des penehans très-rapides , à s'élever
prefqu'en ligne perpendiculaire fur des hauteurs à perte de vue ;
le danger, vous le favez afl'ei vous-même , s'y rencontre fréquemment,
mais vous avez éprouvé aufli que par-tout où l'attrait domine, la peine
eft comptée pour rien , qu'on ne s'en apperçoit même pas , & que
l'envie de voir des chofes nouvelles & fingulieres dans le genre aimé ,
fait fouvent braver le rifque manifefte de s'expofer à de grands dangers
de s'eflropier, de fe tuer même. Graces à Dieu j'en fuis quitte
pour quelques contufions , & à ce prix je goûte la fat i s faûion d'avoir
été le premier (du moins je le penfe ainfi ) à découvrir que le pays de
Pradelles & fes environs fe trouvent criblés de cráteres de volcans anciens
, & qu'on y voit de toute part des produSions de ces bouches infernales.
Tout ce pays, en y comprenant le Velay & une^partie de
l'Auvergne,forme undi í lriñde près de loo lieues quarrées,hériffées de
coteaux, de collines, de monticules , de montagnes même qui giflbient
autrefois très-profondément dans les entrailles de la ter r : , & qui por-
' tent aujourd'hui leurs arides fommets dans les airs. La plûpart de ces
rochers ont coulé ardens du fein de la terre , ainfi que le métal fort en
fufion des fourneaux des fonderies , pour venir fe placer dans le lieu
qu'ils occupent préfentement. D' immenfes colonnades d'une pierre prefqu'auHi
dure Si aufli péfante que le fer , & qui font l'étonnement de
tous ceux qui les voyent ,ont eu la même origine ; enfin deux lacs vaftes
Sc profonds , dont un fournit abondamment d'excellens poiiTons, ont
vomi jadis des torrens de matieres liquéfiées.
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