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C ' e f t même à ces objets-ci que je m'attacherai dans ma premiere
l e t t r e ; l'ordre qoe je m'étois propoft de donner à mes defcriptions en
f o u f f r i r a un peu , mais j'ai des raifons particulières de ne pas différer
davantage à vous parler de nos rochers volcaniques, parce que c'eft à
eux que je dois les premieres idées qui me font venues de l'exiftence
des volcans dans nos contrées.
T R O I S I E I V I E LETTRE.
A Pradelles , le i8 feptembre 1775.
A V A N T d'entreprendre la defcription de quelques-uns des pavés des
géans que l'on voit ici en grand nombre , permettez-moi, M. de faire
une courte digreffion fur l'origine de ces produftions vraiment iingul
i e r e s du regne minéral. J'appelle avec le d iâionnai r e de l'Encyclopédie
pavé ou chaufléedes géans, de hauts Scvaftes rochers de bafalte pur ou
mêlé , communément divifé en prifmes de quatre, cinq, fix & fept
f a c e s , verticalement dreflés les uns à côté des autres fur plufieurs lignes
, & tellement rapprochés que bien fouvent on a de la peine à difcerner
la ligne qui les fépare dans leur fût , ou qui les coupe par leur
travers. Le pavé de ce goûtlîngulier qui exifte au bord de la mer , dans
l a comté à'Antrim en Irlande, paiîbit,il y a quelques années,pour un
morceau unique en ce genre. Aujourd'hui rien de plus commun que ces
fortes de rideaux de prifmes, on en trouve en Italie, en Allemagne, en
un mot prefque par-tout où il y a des volcans éteints. O r , ceux-ci font
très-communs , il s'en trouve de tous côtés dans des endroits où l'on
ignoroit profondément qu'ils exiftaflent , & fans aller plus loin on a
découvert que quatre ou cinq grandes provinces , telles que le Lang
u e d o c , la Provence, l'Auvergne , le Limoufin &, même le Forez,
f o n t inondés de laves. Parmi les produits de ces incendies effroyables
qui ont dévafté une grande partie du globe terreftre , on trouve conftamment,
au moins ici , les chauffées en queilion ; c'eil déjà un grand
p r é j u g é qu'elles ont fubi le même fort que les matières qui les environnent
, je veux dire la l iquéfadion ,mais les découvertes que j'ai faites
j u f q u ' i c i à cet égard , & que je continue à faire chaque jour , levent non
feulement tous mes fcrupules là-deffus , mais portent la chofe jufqu'au
plus haut degré d'évidence. Vous êtes vous-même, Monfieur, dans cette
c o n v i a i o n , il y a déj à long-temps , & vous n'y mettez aucun doute.
A v a n t de partir du Dauphiné pour me rendre ici, nous avons eu de
fréquentes converfations à ce fujet. Chaque fois que nous faifions des
promenades volcaniques , nous ne manquions pas de confidérer attentivement
les bafaltes qui fe rencontroient fur nos pas, & nous y découvrions
tantôt des granits, des quartz & d'autres fragmens de diverfes
p i e r r e s , prefque toujours des cryftaux d'une fubftance vitreufe que
vous m'avez appris être du fchorl.
T o u t cela , felon vous, prouvoic invinciblement la fufion du bafalte
qui en coulant avoit enveloppé , fans fe les aflimiler, ces corps
h é t é r o g e n e s j je trouvois fans doute vos raifons bonnes, mais celles de
M . Guettard me paroiifoient encore meilleures. Je venois de lire avec
m
L E T T R E S .
attention le mémoire que ce naturalifte a donné fur l'objet dont il s'agit
, que vous aviez eu la bonté de me prêter j j 'étoi s fur-tout frappé de
ce qu'il dit de la formation des cryftallifations. Elles ne fe font , dit-il,
que dans des fluides tranquilles, & pour peu que ceux-ci foient agités ,
l'opération eft raanquée j comment donc celle des bafaltes à colonnes auroit
elle pu réuifir dans le fracas horrible des éruptions volcaniques ?
C e qu'il ajoute de la quantité énorme des matieres propres à la cryftall
i f a t i on que ces volcans euflent dû vomir en un feul j e t , pour qu'il en
r é f u l t â t d' immenfes colonnades, très-réguliérement formées, tel les qu'on
les voit encore, ne faifoic pas moins d'impreflîon fur moi. Enf in, les volcans
éteints étoient fans doute du même ordre que ceux qui coulent aujourd'liui
; or , il eft certain qu'on ne trouve rien de femblable dans les
laves de l'Etna , du Véfuve & de VHécla
Incertain de ce que je devois croire là deifus, je fuis parti dans la
ferme réfolution de ne rien omettre pour parvenir , s'il étoit poffible, à
l'éclairciiîement d'un point qui me tenoit, j e l 'avoue, extrêmement à coeur,
ï e n'allois chercher le bafalte ni en Mi fnie, ni en Irlande, ni en Egypte;
j ' é t o i s alîuré de le trouver en Vivarais fous toutes les formes & de
toutes les efpeces, & eifeâivement une journée de marche me mit au
pied de la chauiTée du pont de l a Beaume, appellee dans le pays le rocher
de Portaloup.
Je l'avois vue vingt fois , ou pour parler plus jufte , j e l'avois feulement
regardée, car je mets une grande différence entre voir & regard
e r ; la multitude regarde, les feuls connoifleurs voy ent , & parmi ceuxc
i combien peu qui fâchent bien voir. Je la vis donc alors pour la premiere
fois, 6c j e vous avoue que ce fut pour moi un fpeftacle des plus
raviflans j fa configuration fînguliere , fa vafte étendue , fa large épaiff
e u r , la variété , l'alignement, l'à plomb , la hauteur de fes maiîes ,
tout cela repaillbit agréablement mes yeux , & me faifoit un plaifir
extrêine. Pour furcroît de fatisfaâion j'avois avec moi un habile ingénieur
des ponts & chauffées , M. Girouft, que fon emploi attachoic
alors autour de ce fuperbe monument des antiques volcans j il me promit
de m'en envoyer fous peu de jours un deflein très-ample &. trèsdétaillé.
Comptant fermement fur fa parole , j'attendois avec impatience
c e beau deffein. J'avois vu depuis peu dans un journal anglois, que
M . Jhon Strange venoit de faire une femblable découverte auprès de
Padoue ; la chauffée de Portaloup , difois - je en moi - m ême , ne peut
manquer de figurer à côté de celle-ci j à tout le moins en fera - t - elle
l e pendant, ainfi que de celle d'Antrim', & peut-être les éclipfera-te
l le toutes les deux ? Plein de ces idées , je me mis à étudier, la
plume en main , cette prodigieufe maffe de bafalte , avec toute l'attent
i on dont j 'étoi s capable j j 'obfervai avec furprifeque je l 'avoi s longé e dans
une efpace de plus de 2000 toifes, en tirant du nord au fud, fans pouvoir
encore en déterminer ni la fin ni le commencement; je penfois , che-
. M. L'abbi de Morcefagne ii'avoic pas vu alors !e que, configurée en prifmes : cette grande chauiTée fai«
bel ouvrage de M. le chevalier Hamilton. Ce favanc foie partie d'un courant qui coula de l'Etna dans la
afaïc graver à ia tète du volume de difcours , mer. On peut confulterâ ce fujet la lettre deM. Ha-
J ille de Cajitl-a-mart, formée par une lave bafalti- milton au chevalier Pringle.
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