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mille de leurs citoyens dans des fleuves de matières ardentes; & fi dans la
fuite des (îecles lacuriofité des hommes parvient à pénétrer dans leur ténébreux
emplacement, les chef-d'oeuvres de l'antiquité, les bronzes Sc
les marbres fculptés , feront trouvés fervans d'accident à des blocs de
laves , tout ainfi que les villes elles-mêmes feront en quelque forte
les noyaux des montagnes qui les couvrent.
D u centre de cette effroyable gerbe de feu, partent de temps à
autre, tantôt des fufées volantes, qui femblables à des poutres enflammées,
montent avec de longs fifflemens dans les airs , &. vont fe perdre
au dellus du féjour des nuages ; tantôt des tourbillons épais de fumée,
de cendres Sc de fables, quelquefois des grêles de pierre de tout calibre,
lancées avec une vigueur fupérieure à celle de nos bombes , vont
à I, à 2 milles delà , écrafer des fpeûateurs , qui placés dans l'éloignémeut,
croyoient pouvoir jouir de toute la beauté, ou de toute l'horreur
de ce fpeftacle , fans craindre les atteintes du volcan irrité.
L a foudre de fon côté fe met de la partie ; on la voit ferpenter au milieu
des flammes, & fi le bruit qui la fuit conllamment, fe perd dans le
tumulte affreux qui regne autour de la bouche infernale , on diftingue
fans peine au vif éclat dont elle brille, les longs filions qu'elle trace
fur la colonne de feu.
Mais voici de larges torrens d'un feu liquide qui commence à defcendre
du fommet de la montagne, ou des crevaflés qu'ils ont faites
fur fes flancs ; à mefure qu'ils fe précipitent à gros bouillons le long
de fa croupe, ils forment des nappes, des cafcades, des coulées fuivies,
ou des courans entrecoupés ; par tout une fumée épaifle s'exhale de
leur furface ; defcendus dans la plaine , l'adivité de leur marche fe
ralentit fenfiblement, ils n'avancent qu'avec une pompeufe lenteur, mais
rien ne leur réfifte ; terres , rochers, forêts , bâtimens, tout ce qui fe
trouve fur leur chemin eft fouvent renverfé ; les montagnes elles-mêmes
ne leur oppofent pas toujours des réfiftances invincibles : arrivent-ils
dans la mer, fes rivages font auffi-tôt à fee, & pendant qii'elle fe replie
fur elle-même avec des mugiflemeus dont le bruit de mille tonnerres
n'approche pas, d'immenfes jetées naiflént prefque en un clin d'oeil
du fein de fon gouffre, dépafl'ent fon niveau, s'élevent à des hauteurs
furprenantes, & ce font là d'immenfes boulevards quipendant les fiecles
à venir, braveront la fureur de fes flots.
Encore une fois ces objets réunis ou divifés font d'eux-mêmes ii
grands, fi nobles , fi frappans, que fans exceller dans l'art de peindre,
on peut en tracer, finon des tableaux achevés, au moins des efquifles
iîapportables.
Mais c'efl: un axiome vérifié par une expérience confiante , que rien
de violent ne peut durer long-temps, & que plus une tempête a été
furieufe, plus le calme qui la fuit, efl: profond. L'éruption du volcan
finie, tout eft rentré dans l'ordre, le bruit a cefle , l'air a repris fa férénité
, la terre s'eft raffermie, les flammes ont difparu , & alors, par
une fuite néceifaire , ce volcan hier fi fécond en prodiges de toute
efpece , n'eft aujourd'hui dans fes parties & dans fon tout, qu'un
être informe, de l 'afpea le plus trifte & le plus fauvage qu'on puifle
concevoir.
Vous
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Vous, me paflerez cette coraparaifon : je trouve entre un volcan brûlant
&C un volcan éteint, la même différence qu'il y a d'un champ de
bataille au jour où deux puilîantes armées fe livrent les plus formidables
aflauts, avec ce même champ bientôt après la défaite de l'un
des.deux partis ennemis. Pendant que l'aâion duroit tout le pays retentiiîbit
du fracas horrible de l'artillerie , mêl«' au feu roulant de la
moufqueterie ; le bruit de mille tambours, joint au cliquetis des armes,
au henniiiement des chevaux, aux cris des combattans, achevoitle tumulte.
Des tourbillons épais de flamme , de fumée & de poufliere
obfcurcilîbient l'air pendant que des ruiiîeaux de fang couloient de
toutes parts, & que la terre difparoiilbit fous des monceaux de cadavres
, ôc fe couvroit de vaftes débris d'armes & de bagages.
Revenez quelques jours après fur cet affreux théâtre de tumulte
& de confufîon,Ia face des chofes y eft abfolument changée, le bruic
a ceffé, le iîlence & la folitude y regnent, tous les objets d'horreur
qu'il étaloic, o;it difparu 3 à peine reconnoit-on au bouleverfemenc du
fol & aux teintes de fang qu'ila reçues, à des cadavres qui n'ontpas été
inhumés, que quarante ou cinquante mille hommes y ont été maflacrés.
Voilà fous quel rapport j 'envlfage deux volcans dont l'un eft dans toutes
fes fureurs, & l'autre les a épuifées ; là il n'y a rien qui ne frappe,
qui ne faiiîlîe , qui ne porte dans l'ame les plus vives impreflions de
terreur ôc d'effroi : ici tout eft muet , trifte & languiflknt, & tout par
là même fe refufe à la defcription
Qu'offre en effet aux yeux une éruption déjà faite ? des fables brûlés,
des terres cuites, des boues à demi-defléchées, des couches longues 6c
épaifles de laves, de fcories de mâche-fer,femblables à celles qui coulenC
des forges de nos maréchaux.
Ajoutez il vous voulez à cela des campagnes dévaftées, des terres
recouvertes de cendres , ou des tas de pierres-ponces, quelques édifices
à demi-enfevelis dans les laves, un refte de fumée qui s'exhale encore
de la bouche du volcan , & vous aurez fait l'entier rapport de tout ce
qui en refte. O r , ft celui-ci fournit fi peu à la defcription , combien
moins encore y a-t-il à dire de ceux éteints depuis une nombreufe fuite
de fiecles; il eft vrai fans doute que quand ils bruloient, ils produifoient:
le mêmemugiflëraenc dans les airs, lamêmeobfcuri t é dansl'athmofphere,
les mêmes commotions dans les entrailles de la terre que le fait encore
l'Erna , lorfque fortant tout-à-coup de fon ina£tion , il porte l'effroi
dans toute la Sicile. Des mafles telles que le Puy de Dôme, le Gerbier
des joncs n'ont pû fe déplacer fans tumulte , ni venir à petit bruit s'établir
du fein de la terre dans la région des nuages. Les volcans,à quelque
époque qu'ils aient exifté,ont été toujours au rang des plus prodigieux
effets de la nature ; o r , quoique celle-ci ait fes caprices dans la production
de certains petits objets, elle ne varie jamais dans fes grandes
opérations ; anciens ou modernes ils font donc tous calqués furie même
modele ,mais ce que les nôtres furent jadis n'en fournit pas plus de couleur
pour faire de ce qu'ils font aâuellement des tableaux intéreffans;
1a plupart des monumens qu'ils ontlaiffés après eux ont été tellement
défigurés par la longueur des temps , qu'il faut prefque deviner qu'ils
aient jamais exifté. Delà il fuit encore que quelqu'un qui entreprend
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