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32 P E U P L E S INDO-EUROPÉENS.
bon marclié, « lui témoigner du respect, > selon son expression originale,
on s'il pent exiger nn prix triple de la valeur réelle. Il arrive qiiel-
(|uefois qn'il vend à perte nniqucmcnt pour conserver la clioiitèlc de
Süll achctenr, et, dans ce cas, il sait compenser sa perte à la première
occasion. Le marchand russe exige peu des pauvres, beaucoup des
riches, et fait des crédits étonnants.
On retrouve en général, dans les classes élevées de la société russe,
c|uelqucs-uns des traits du caractère national décrits au commencement
de ce cliapitre; mais elles se distinguent aussi par d';tutres particuhirités
dignes de remarque. ].a sociabilité, la bienfiiisance et l'hospitalité sont
leui'S qualités les plus saillantes ; il faut y ajouter une cerUiine affabilité
de manières qui se manifeste souvent il l'occasion de relations tout
il fait accidentelles et dans lesquelles éclate parfois une sympathie subite
et involontaire. S'il est vrai que l'argent vite et facilement gagné soit
tout au.ssi aisément dépensé, et si la possession de moyens matériels
rend pour quelques-uns la bienfaisance et l'hospitalité faciles, il est jnste
aussi de reconnaître que.^ette considération n'est que secondaire pour
le JInsse, qui, même avec une fortune médiocre et acquise îi la sueui'
de son front, n'eu est pas moins porté à exercer avec nn égal empressement
la bienfaisance et l'hospitalité. Accueillir dans sa maison un compatriote
ou nn étranger, l'héberger, le nourrir au besoin des mois ent
i e r s , est tout il fait dans les habitudes du pays, et personne ne s'en
fait un mérite : on partage ce qu'on possède, peu ou beaucoup, et l'offre
en est faite avec un sentiment tout fraternel. Ce qu'on appelle ailleurs la
vie publique étant chose presque inconnue en Russie, la maison, la famille,
ont, dans les moeurs habituelles, une acceptiou particulière et y jouent
nn rôle important. Non-seulement les réunions de famille sont très-fréqucntes,
mais on aime encore à avoir nn cercle de connaissances qui
sont toujours vues avec ])laisir et accueillies joyenscmeut, selon que les
circonstances le permettent. La force des liens de famille chez les
Russes se fait remarquer surtout quand on compare leurs habitudes visii
vis de leurs hôtes il celles de l'ICurope occidentale, et particulièrement
eu Allemagne, oii phis qu'ailleurs l'Iiospitaiité domestique tend à
s'effacer. En Allemagne on est visiblement gêné de recevoir pour uu
temps nn peu prolongé des pai'ents ou des amis, tandis qu'en Russie on
accueille les visites avec uu plaisir aussi vrai que touchant. Au lieu de
convier à un diner de famille la personne qui leur fait visite, les Allemands
la conduisent ii la table d'hôte d'un restaurant; on tache de
cacher devant elle les habitudes journalières et intimes : i)ar exemple, on
u e fait pas la prière avant et après le dîner, on renvoie les enfants de
la table, on chasse le chien et le chat de leur coin; bref, on a honte
des habitudes de famille au lieu d'en être fier. En Russie, c'est tout à
fait le contraire; toute la famille, la domesticité même, se réjouit de la
visite inattendue d'un étranger, chacun s'empresse de le mettre h son
a i s e , et, sans rieji changer à l'ordre ordinaire de la maison, on lui
prouve par mille petites attentions qu'il est le bienvenu. 11 ne saurait
mieux reconnaître cette prévenance générale qu'en renouvelant bientôt
sa visite. Quand on attend des parents, des amis ou des connaissances
intimes, il fant voir l'expression sincère et heureuse de toute la famille!
C'est avec nn accent de satisfaction tout pai'ticiilier qu'on dit : « Sévodnia
gosti bûudoutt!» (aujourd'hui nous aurons des visites). Mais les
nombreuses visites que l'on reçoit et que l'on rend en Russie ont encore
un autre motif. La sphère d'activité de la femme dans son intérieur,
comme épouse, mère et njaitresse de maison, est relativement plus rest
r e i n t e qu'elle ne l'est dans d'autres pays, bien que son influence et son
développement intellectuel soient souvent supérieurs h ce qu'ils sont chez
les femmes de l'Europe occidentale. Comme on aime à s'occuper plutôt
de choses superficielles que de choses sérieuses, l'ennui se fait souvent
sentir. Ou craint de rester isolé, seul avec soi-même, et l'on se réjouit
de recevoir desi visites qu'on désire. D'ailleurs ces visites, reçues avec
plaisir ît toute heure du jour, ne troublent en rien l'ordre de la maison
e t n'entravent aucunement les occupations de la famille, comme cela
pourrai t avoir lien dans l'ouest de l'Europe, où tout se fait avec une
certaine régularité et où chacnn a son centre d'activité bien nettement
tracé.
L e Russe opulent et de noble origine, aloi's même qu'il s'abandomie
à son penchant pour l'ostentation, ne s'enferme pas en égoïste dans sa
maison pour y satisfaire, seul avec sa famille, son goût pour les jdaisirs
; mais il aime - et c'est h\ une pi'cuve de générosité innée — !\
voir le plus de monde possible assis ii sa table aboïKlanimcut servie.
Ce qui est plus méritoire encore en lui, c'est cet esprit d'humatiité vraiment
clirétien qui a couvert la Russie d'une quantité d'établissements de
bienfaisance et de charité. Le Russe vêtu de l'élégant frac parisien ou
d'un brillant uniforme, le bourgeois barbu envehqipé dans son kaftan,
le grand seigneur dont les richesses sont immenses, le simple propriét
a i r e campagnard, l'opulent marcliand moscovite, rivalisent d'cmju'essement
et de zèle pour participer à la création des i)lus nobles institutions
de bienfaisance. ICn uu mot, l'esprit de clmrité est si généi'alemeut répandu
en Russie que presque tontes les villes, et même beaucoup de
villages, possèdent des établissements destinés ¡\ l'assistance des pauvies
e t au soulagement des malades.
La haute société de St-Pétersbourg, c'est-i\-diro celle des classes les
plus élevées, occupe incontestablement, par sa tenue, sa manière d'être
et ses formes distinguées, le liremier rang eu Europe il côté de la véi'itablo
aristocratie française. Malhcnreusement, le goût du faste extérieur
e t la passion du luxe sont quelquefois poussés un peu trop loin par les
classes civilisées en Russie, ce qui tient h. nn reste d'hiibitudes anciennes
liées il nn peu de faiblesse de cai-actère et t\ une certaine vanité. On est
prodigue, on mène nn train au-dessns de ses moyens, ti-ès-sonvent dans
le seul but de briller, de faire parler de soi et de ue pas rester en
a r r i è r e de ceux que l'on connaît. Tout est sacrifié au moment présent,
e t une heure passée dans le plaisir et la joie ne semble jamais payée
d'un prix trop élevé. Il en résulte une répugnance habituelle pour les
affaires sérieuses et les lenteurs d'un travail difficile ; on flotte entre
mille intérêts divers ; ce sont souvent de continuelles alternatives d'indulgence
et d'exigeuce, d'un certain laisser aller et d'élan, de mollesse et
de résolution.
Le Russe a une adresse si remarquable pour arranger les choses et
leui' donner une appai-ence avantageuse, en un mot, une si grande habileté
de mise en scène, que nul ne saurait l'égaler sous ce rapport.
N'appoi'taut pas de suite dans ses actions, de poi-sistance dans ses lésolutions,
d'ordre dans ses affaires, exagérant aujourd'hui ses prétentions,
demain indulgent et faible, il tombe très-souvent, sans s'en apercevoir,
dans la dépendance des membres de sa famille, de sa domesticité, de
ses intendants, eu un mot, de tous ceux qui sont en rajjpoj-t avec lui
e t qui profitent de cette absence d'esprit de suite pour i'exploitei' parfois
avec une incroyable adi-esse. C'est sous ce j'apport que l'élasticité du
caractère russe se révèle de la manière la plus frappante. Le Russe
civilisé a beaucoup d'intelligence et conçoit rapidement, mais il est i>romptement
fatigué. Les choses ne l'intéressent que quelques moments ; il
aime le changement et se soumet aveuglément aux caprices de la mode.
Un mal profond que produit chez les Russes leui' existence accident
é e , c'est l'éducation imparfaite des enfants, que l'on gâte souvent, il
faut en convenii-, plutôt qu'on ne les élève, et dont on fait d'¿igi-éables
passe-temps pour satisfaire sa propre vanité, ])lutót qu'on ne les instruit
dans le but d'en faire des hommes utiles, sérieux, ayant un caractèi'e
indépendant et ferme. La tendresse exagérée, le fol amoui- même dont
ils sont l'objet, l'indulgence et la faiblesse qu'on a pour leurs caprices
e t leurs petits défauts, sont extrêmement préjudiciables aux enfants;
émancipés de trop bonne heure, ils se soumettent difficilement il une
discipline nécessaire ; ils sont j)résomptueux et no i-espectent pas assez
l'âge et l'expérience. Si l'on ajoute à cela le man(|ue d'exercices gymnastiques
et la surexcitation des nerfs, on ne sera jilus étoimé que la
génération actuelle représente plus l'ai'ement à nos yeux l'idée que
l'on se fait du beau type russe d'autrefois. Cependant ce Russe, fra])pé
aux bons comme aux mauvais coins de la civilisation, accomplit souvent
des choses incroyables sans en faii'C grand Ijruit et sans ])ar!ei- longuement
et avec empiiase de cliaque incident, comme [lourrait le faii'e un
Allemand ou un Frai^'ais; ce qui tient peut-être aussi un peu il l'indolence
de son caractère. S'abatidonnant aujourd'hui il toutes les délicatesses
du confort, recliei'chant tous les l'afîinemonts d'une existence luxueuse,
ce même Russe rouloi'a le lendemain i\ travers cham]>s, monts et vallées,
sur un téléga dépoui'vu de siège confoi-lablo, sans ap|uii pour ses l'eins,
sans aljri contre la pluie, la boue, le vent et la poussière; il fera ainsi
des milliers de vcrstes, jusqu'à ce qu'il soit arrivé au bnt lointain de son
voyage, sans se plaindre de son véliicule, de la rapacité des aubergistes.
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