
P E U P L E S DU CAUCASE. P E U P L E S DU CAUCASE.
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est cil oiil;rc défonclii par des tours cl souvent par une citadelle. Le long
de l'cnccinte, des jai'diiis sont disposés sur les terrasses et arrosés au
innycii de pi'océdós d'irrigation très-ingcnieiix. Il était tout naturel que
CCS aoûls, dont rétablissement avait été l'objet de si nombreuses difiicullés,
fnssoiit aussi défendus avec une énci-gifjuc opiniâtreté.
I,cs tri!)us ([ni habitent la zone boisée sont peu attachées à leurs dcnionrcs
et on n'y trouve pas de grands aoûls fortiliés; la majeure partie
de la population reste isolée au milieu des forêts, dans des fennes qu'elle
quitte h l'approche des troupes russes pour aller s'établir daus des forêts
plus éloignées (comme cela eut lieu naguùrc dans la Tchétchnia.), ou elle
se retire dans les l'égions ¡dus élevées des montagucs. Plusieui-s de ces
tribus sont d'ailleurs revenues se. fixer au milieu des monceaux de ruines
(jui remplacent leurs anciouncs habitations. Possédant peu de chose et
ayant cncoi'e moins de besoins, ricbcs en bois de construction, les habitants
de la zone forestière ne souffrirent alors et ne souffrent en général que
méilioci-cmcnt de la destruction de leurs aoûls, d'où ils ont soin le plus
Sduvont d'cni|K)rter il temps ce qu'ils possi'dent. L'incroyable fertilité du
std Iciu' donne la possibilité de réparer promptcmcnt lenrs pertes. A mesure
que la conti-ée perd de sou caractère sauvage et de son isolement, les
|)n>grcs de la civilisation, le bien-être et la l'icbesse des habitants deviennent
plus sensibles. l'.n elTct, dans les plaines de l'isthme caucasien, oii
])res(iuc toute la population a déjii reçu une organisation civile, le tei'rain,
dont la culture pi'ond chaque jour de plus grandes proportions, devient
d'année eu année plus fertile, la population s'accroit et son bien-être
augnieufe. Mais dans cos mémos lieux, au inilion d'une population sédentaire
parmi laquelle les rafliiiements du luxe euro])éen ont déjà pénétré,
ou voit cncoi'c des tribus nomades primitives et à demi sauvages. C'est
ainsi que, dans la steppe qui s'étend entre le 'l'érok inférieur et la Kouma,
et sur les rives du lac Mauytch, il y a encoi'c des Nngaïs et dos Kalmouks
iu)madcs; de même (|u'on Triinscaucasie on trouve des Tatars et
des Kiuirdes dans les plaines de l'Araxe, dans celles du Kour et sur
le versant du petit Caucase. Quant aux divers peuples qui habitent les
plaines, ils oiri-ent non-seulement aussi des difféi-cnces cai'actéristi(|nes
sous le rajipoi't de l'existence, des habitudes et des qualités nrorales,
mais chaque peuple se subdivise eu plusieurs groupes qui tous dénotent
un ihîvcloi)peincnt différent résultant de la diversité des influences locales.
Il existe cc|iendant toujours, dans la montagne proprement dite, ])lus de
peuidades et de tribus éparses que dans les autres parties du Caucase.
Les Géorgiens en fournissent la preuve; car on remarque môme encore
aujüurd'liui paimi les Thouclies, les Pchavs et les Khcvsours, qui en
funt partie et qui résident au centre de la montagne, des moeurs et
des habitudes qui rap])ellcnt le commencement de la vie des hommes
primitifs. — D'autre part, les habitants du pays du Ilion, enfermés de
trois cotés par des versants de montagnes très-élevées, malgré leur ancien
et fréquciit contact avec des nations civilisées de l'Occident, sont
restés toujours à un degré très-peu avancé de civilisation et n'ont pu
sortir de leur isolement ])olitiquc; ils .sont pour ainsi dire demeurés étrangers
il la vie publique et se sont réfugiés dans des fei-mes (pi'ils ont
étal)lics au milieu des foiêts. Il n'y a pas longtemps encore que les
divers princes avaient l'habitude de se ]'endrc à cheval, accompagnés
d'une foule immense de conseillers et de sei'viteurs oisifs, d'un village
dans l'autre, pour y apaiser les différends survenus entre leurs sujets,
et ils consommaient i\ cette occasion, en très-peu de temps, les provisions
amassées par les liabitants pour leur subsistance de iilusiours
années. Là le vassal escorte son soigneur à pied, a lin de lui tenir
r é t r i e r lorsqu'il descend de cheval. I.es impôts se payent en nature, par
de certaines denrées désignées ou par une prestation de travaux; ces
coutumes ont toutes été sanctionnées par un usage séculaire. La fécondité
exceptionnelle du sol ne peut cependant pas suppléer à la négligence
du cultivateur, contraint à s'éloigner des village.s ou des localités
plus peuplées pour aller s'établir dans des fermes isolées au milieu des
forêts et dans le voisinage de son champ. Dans les contrées plus accessibles,
et par cela nn;mc plus exposées naguère ans attaques <lc l'ennemi,
la population habite de préférence des villes on de grands village.«.
Dans les forêts vierges qui couvrent les districts du Rion, où la nature
a créé elle-même des asiles impénétrables, les habitants, menacés dans
leurs biens et lour existence, se réfugièrent à l'inténcur dos forêts, où
leur isolement les rendit farouches et sauvages.
La situation est bien différente en Gionzie, c'est-à-dire dans h- Karthli
ou la Géorgie centrale, pays qui forme «ne sorte de transition entre la
plaine du Ilion, toujours verdoyante et liumidc, et la partie orientale de
la Transcaucasie, sèche et sablonneuse. Lit les vastes espaces couverts
do forêts sont coupés par de fertiles vallées d'une assez grande étendue ;
la population y vit aussi préferablement par groupes et réunie dans de
grands villages; mais de même qu'en Tméreth, la féodalité y met entrave
au développement de la civilisation ; dans l'un comme dans l'autre de ces
pays, il y a très-peu de villes, et celles qu'on y rencontre ressemblout
plutôt il de grands villages. Dans les plaines de la Géorgie centrale on
commence déjà à utiliser les eaux des gi'andes rivières pour arroser ut
même inonder au besoin de grands espaces de terrain. Pendant que dans
la plaine du Rion il rogne en été, au moment du crépuscule, do la fraîcheur
et de rimmidité, et que les contrées plus basses sont recouvrîtes
d'un voile do brouillard, en Grouzio, au contraire, les nuits d'été sont
presque toujours étouffantes, l'aii- n'est jamais rafi'aîchi par la rosée,
et les rayons du soleil levant produisent déjà nne chaleur accablante.
I.es plaines complètement découvertes de la Géorgie centrale contraignaient
autrefois les habitants à se réfugier, pour fuir les invasions
ennemies, dans des cavernes pratiquées au sein même des rochers, on
dans de grands caveaux souterrains, ou enfui dans dos tours fortifiées
bâties au milieu de rochers inaccessibles. Une grande quantité de niiucs
de couvents, d'églises et de fortiiications, que l'on trouve encore dans
des endroits abrités, témoignent de l'état de ce pays, autrefuis continnollement
menacé.
La cliaùie des monts Vahhans forme la seule barrière qui séjiare les
ti'ibus géoi'giennes (la race karthle) en deux groupes qui ont pris chacun
un développement indépendant. A l'ouest de la chaîne des montagnes, la
langue géorgienne est pai'lée moins correctement que dans la Géurgio
centrale, parce que les habitants do la plaine du liion se sont assimilé
do nombreux éléments éti'angers par leur tVéqueiit contact avec plusieurs
nations civilisées de l'Occident. II règne on ces lieux plus de coutumes
surannées que dans la Géorgie centrale, oîi la population est muiin
impressionnée par l'influence étrangél'e que dans la plaine du Rion. Les
différences qui existent entre les deux groupes se rctiètent jusque dans
les traits do leur visage : dans la plaine du Rion on remarque beaucoup
d'individus blonds ; le peuple y est en général plus beau et ses
traits sont plus fins que ceux des Grouzicus. A l'ouest des un)nfs Vakhans
il y a beaucoup de familles qui dénotent nne origine européenne;
les chants populaires sont plus riches en mélodies et ressemblent aux
chants tyroliens, tandis que les chants populaires des Grouziens sont dépourvus
de mélodie et ne font entendre que des sons d'une tristc.ssc monotone.
A l'époque de la domination turque, au dix-septième siècle,
lorsque le seul commerce qu'on faisait en ces lieux se bornait à la vente
des prisonniers, alors que tous les liens de parenté étaient brisés et.
que la population entière était adonnée au brigandage, les habitants
de la contrée du Rion étaient tombés daus une complète démoralisation.
Il en est résulté que jusqu'à présent les droits que confèi'o la propriété
sont cncoi'c audacieusement violés, et que le vul de.s chevaux, par exemple,
n'est considéié que comme un hai'di coup de main; tandis que
dans le Kai'thli le vol est relativement un fait assez rai e dans les basses
classes du peuple; les crimes plus dangereux sont le jilus souvent l oeuvre
des Arméniens. Il existe mémo dans l'architecture rurale une notable
diiTéi-ence entre l'ouest et l'est des monts Vakhans. Dans la contrée ilu
Rion, les petites maisons construites en planches, à haute toiture et
sans fenêtres ni poêles, ressemblent plutôt à des barricades qu'aux maisons
des paysans russes; par contre, les sakhii de la Gr(mzie forment
des espèces de cabanes en terre profondément enfoncées daus le sol;
souvent, pendant le jour, toute la famille travaille sur le toit plat ot s'y
repose môme aussi la nuit. Il n'est guère facile de découvrir de loui
les villages de la Grouzie, dont la nuance grise disparait dans ronseniblc
du paysage qui les entoure, et on ne parvient à les rcconiiaitre rpni
la verdure dos jardins et aux hauts peupliers d'Italie plantés duns lc.s
jardins des villages. Malgré la grossièreté des instruments qui, de mcmc
qu'à l'ouest des monts Vakhans, sont employés ¡¡our les tjavaiix des
champs, l'économie rurale est plus développée chez les Kartdiics. l-cui
principale nourriture consiste en froment, qui joue méinc un role assez
important comme denrée commerciale.
j\Ialgré de nombreuses différences assez marquées entre le.s liabitants
do l'ouest ot cenx de l'est des monts Vakiians, le type propre à la race
kartlile leur est commun et se remarque «ncore chez eux d'une manière
sensible non-seulement dans la langue et la religion, mais môme dans le
costume national, à l'exception toutefois de la coiffure, qui diffère essentiellement,
surtout entre les Kartliles et les Imere.
Depuis que la Russie a pris possession du Caucase, événement qui
remonte à des époques très-diverses, mais principalement au commencemont
de ce siècle, et depuis qu'elle a entrepris la tâche difficile de ci-
.catriscr les blessures qui, dans le cours non interrompu de dix siècles,
ont été portées à cette population par les ravages, l'oppression et les
persécutions de tout genre, une nouvelle ère, inconnue jusque-là, s'est
lovée pour les annales du Caucase. Le calme et la paix, l'ordre et les
bennes moeurs, la justice et les lois ont commencé à s'établir dans cette
région, à y porter dos fruits salutaires et à y faire des conquêtes nousculcmcnt
en politique, mais encore dans l'ordre moi'al, en assurant la
victoire du cliristianisme sur l'islamisme, malgré les efforts de ses fanatujues
tléfoiscuK, Sur la B„ mémo du sirèlc (Icniic, la plus gramle partie
(le h population ilc ces tontrics gémissait encorc sous le joug du despotisme
grossier de plusieurs petits souverains (jui, épuisant aibitraircmcnt
tontes les ressources du pays, avait fait naître dans le peu|dc nue
sorte de répnguauec pour le travail lioiinéte et avait étouffé ainsi la
possibilité de tout progrés moral. Si l'on prenil aussi en eousiileration
la luine complète de l'agriculture et de l'industrie, l'extrême sol.riélé
d'un peuple qui savait restreindre ses besoins jusqu'aux dcniércs limites,
le manque de communications et de capitaux ilins un pays oi-i tout individu
n'était soucieux que de sa sécurité personnelle et ne restait
jamais ilesarmé, on eonipj-cndra aisément que tout essoi' commercial,
tout progi'és civilisateni- fussent devenus impossiUcs et comme anéantis.
C'est dan.s cctte déplorable sitniition que les Ensses ti-ouvérent le C,nucase.
Ce n'est pas trop assurément de quelques dizaines d'années pour
achever l'oeuvre réparatiiee de tant de misères accumulées par les siècles.
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G É O E G I E N S
Les Géorgiens ou les tribus de la race karthle occupent dans !a Transcaucasie
tout l'espace qui s'étend depuis la rive orientale do ¡a mer Noire
jusqu'au confluent du Kour et de l'Alazan, et depuis la crête principale
de la chaîne du Caucase jnsqu'a.ux versants septentrionaux de la chaîne
d'Adjara et du petit Caucase. Hoi's de ces limites, les âpres vallées des
sources de l'Ingour et de la Tzkhoniss-Tsqal sont occupées par la tribu
sans importance des Sonanes.
La race Icarthle se divise en treize tribus dont quelques-unes ont
occupé les plaines et les hauteurs limitrophes de la chaîne |irincipalc
du Caucase (telles que les Karthles proprement dits, les Imors, les
Miiigféliens et les Gourions); tandis que d'autres (les Sonanes, les
Thouelics, les Pchavs et les Khcvsours) ont pénétré jusque dans les jilus
liantes et les plus ludes vallées, ot ont souteini de teri'ibles luttes contre
les iiillards des tribus mahométanes du versant septentrional des monts
caucasiens.
Les différences que le cours des siècles a fait naître parmi les tribus
'It; la race karthle, sous le rapport de la physionomie, de la langue et
lies moeurs, sont le résultat natni'cl de leur situation géogra]ihiquc ainsi
que des influences auxquelles elles ont été soumises par ienr contact continuel
avec les tribus guerrières du voisinage.
Aujourd'hui nous distinguons, parmi les tribus gcoi-giounes qui habitent
l'empire de Russie et qui diffèrent essontielloment les unes des
«"ti-es, les Kart.]ilos (avec les Caklies), les Imers, les Mingréliens, les
fi'Hinpiis, les Souanes, les Pchavs, les Tliouches et les Khevsours. Sur
le territoire turc, le lung do la mer Noire, les Lazos, peuple montagnard
et sauvage, se font particulièrement remarquer par leurs habitudes de
pillage.
Depuis longtemps déjà la Russie entretenait des relations d'amitié avec
li's loyamnes de Cakheth et de Karthli, dont les habitants professent
même religion que les Russes et furent naguère puissants et tiorisp
t s . Amsi que nous l'avons dit ci-dessus, la plus grande partie de
'^^•l'ouzie est muntagueuso; mais on ne trouve pas dans ses iiautours
'Coures les refuges inaccessibles qu'offrent les gorges de la princil'iile
crête du Caucase : aussi les Karthles et les Tmers, dont l'origine
i» môiiiCj .sont-ils parvenus i\ sauvegarder leur religion et. leur na-
' I e, mais n'ont pu se garantir toujours des invasions ennemies,
^ n t s les victoires do Timour, environ voi-s l'année MOO, l'un ot l'autre
ces peuples tombèrent altoi'nativoment sous le joug si posant des
sci-^'^ l'crsans et furent continuellement inquiétés ot pillés, au
^^^¿leme siècle, par des bandes de tribus Icííghies à demi sauvages,
Daghestan, fii-eut irruiition dons le pays et le dévastèrent
impitoyablement. Lorsque l'empire byzantin se fut écroulé, les tsars
de la Grousie tounièrent leurs regards vers le uord, implorèrent souvent
l'assistance de la Russie, et se soumirent enfin volontairement à
ce puissant empire dont ils devinrent les sujets, et qui seul en effet
pouvait les délivrer du joug dos musulmans. En 1783, l'imperati'ice Catherine
prit la Grouzie sous sa protection, et en 1801 cette contrée fut
définitivement annexée à la Russie. Quelque temps après (en 1803), la
Mingrélie eut !e môme sort, puis l'Iméreth (en 1804), et enfin la Gouria
(eu ISIO). C'est tout récemment que le Souanoth a été placé à son tour
sous Fautoi'ité de la Russie.
L'histoire des peuples géorgiens offre nne suite presque non interrompue
de guerres et de dévastations, en sorte que les arts et les sciences
ne purent jamais se développer suffisamment chez eux et s'y établir d'une
manière solide. Ce ne fut donc que passagèrement qu'ils laissèrent sur
les rives du Rion et du Kour quelques traces de leur oeuvre, attestée
aujourd'hui encore par les ruines de temples et de palais très-anciens,
ainsi que par les débris d'une littérature étiolée avant sa maturité. On
romai(|ue aussi quelques vestiges d'une économie rurale et d'une agriculture
assez avancées, qui datent vraisemblablement, comme le vaste
système de canalisation pratiqué pour l'iirigation du sol, d'une époque oii
la Transcaucasic et une grande partie do l'Asie sud-ouest étaient soumises
à une volonté unique.
C'est dans les causes énumérées plus haut qu'il faut cherchor le défaut
de culture et la misère do ces pays, sur lesquels cependant la nature
semble avoii' déversé sa corne d'abondance et ses bénédictions ; c'est
aussi à ces motifs que l'on doit attribuer le déplorable état de la civilisation
de leurs habitants, bien que l'arbre du cliristianisme ait pris
racine parmi eux depuis plus de quinze siècles.
Avant d'esquisser rapidoment le tableau ethnograidiique des tribus
géorgiomies qui habitent l'empire de Russie, nous nous occuperons un
moment de rensemble de leur histoire jusqu'à leur séparation en diverses
fractions de tribus qui existent encore aujourd'hui et présentent
entre elles dos différences assez marquées. Nous suivrons, ponr cette
étude, l'ouvrage célèbre de l'académicien Brossct, dans lequel cet auteur
joint au mérite d'avoir traduit ot commenté l'histoire de ces peuples,
celui d'offrir nne rare collection de documents originaux émanés des
Géorgiens eux-mêmes.
L'histoire de la Géorgie se divise en histoire ancienne et en histoire
moderne. La première so termine à rannce 1409, époque du morcelleti
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