
28 P E U P L E S INDO-EUROPÉENS.
ne roçoit-cllc ptó d'un ffiit d'une gi-andc portée movalo que nous aimons
il consigner ici ! Des vieillards, en recevant io décret d'affi'ancliisscmcnt,
se découvriront la tûte, firent le signe fie la croix, et, levant les yoiix
au ciel pour ap|)eler ses bénédictions sur la tòte du tsar, s'écrièrent
a t t e n d r i s , avec l'accent d'une profonde ¿rratitude et d'une ardente conviction
: iDicn soit loué ! noiis avons au moins un jour vécu en liommes
< libres, nous pouvons maintenant monrir tranquilles I >
Le Russe vit dans une certaine intimité avec les merveilles de la
nnture, dont il est resté plus lapproclié que ne le sont d'autres nations
plus civilisées, parce que l'hinume du peniile passe la plus grande partie
de ses jours en plein champ ou dans des forêts majestueuses d'une incomiiarable
beauté , animées par le cliani. des oiseaux ou enveloppées
dans leni-s blancs vêtements d'biver; sur les fleuves poissonneux, les lacs
oi'ageux et dans la ste])])e d'une incommensable étendue. Son sang est
resté pui-, ses organes sont snbtils, son coup d'oeil n'a point été (ib.scurci
pur les brouillards d'une incomplète civilisation. L'âme du Russe est
comme un reflet île la coniiguration un peu monotone de son immense
pays, Réaliste sans effort et sans parti pris, le Russe est exempt de
cette sensiblerie pi-ocluite par nue nature factice, si fréquente en Occident,
et surtout en Allemagne. Il est, en face de la nature, un être
absolument pi'atique, Son oeil clairvoyant, son oreille sans cesse aux
aguets, sont pour lui des guides infaillibles qui mettent son âme en
rapport dii-ect et non interrompu avec tous les phénomènes du monde
extérieur : aussi aucune apparition, aucune ligure, aucun mou\ement
mémo n'échappent ii ses sens constamment en garde ni il son regard
v i g i l a n t , s'ils se trouvent renfermés dans le cercle de son horizon.
D'ailleurs ce n'est pas sou esprit seul qui embrasse la nature, mais aussi
son coeur : l'attitude remarquable du Russe en face de la création qui
l'environne établit entre les animaux et lui une sorte de relation sociale;
nous en jiourrions trouver la'preuve dans l'humanité avec laquelle il
t r a i t e les animaux, humanité qui est presque de la tendresse, et dans
ses jeux naïfs avec les fleurs et les rameaux verdoyants. Le paysan
j'usse, dur pour lui-même, a pour ses animaux domestiques des prévenances
et des soins qui, dans l'occident de l'Europe, sembleraieut tout à
fait extraordinaires. C'est siirtont dans la manière dont les yamchtchiks
agissent vis-à-vis de leurs chevaux que cette humanité du Russe étonne
et ])ai'alt iilus touchante encore. Jamais il ne poussera d'une façon brutale
son chei- troïka au point d'excéder ses forces; c'est, au contraire,
avec les mots les plus caressants, les exhortations les plus douces qu'il
cherche à activer l'ardeur de ses chevaux bien-aimés. Sous ce rap])ort,
il ne faut pas juger le Russe d'après les cochers des villes : ceux-ci
a p p a r t i e n n e n t , pour la plupart, à des entrepreneurs et se servent du
cheval sans trop le ménager.
Un trait tout ii fait caractéristique du Russe, c'est son vif pencliant
poui- l'hospitalité et le besoin généreux qu'il éprouve d'exercer sa bienfaisance.
Le Russe ne connaît pas ce misérable égoïsme qui consiste ii
éloigner durement de sa porte le mendiant affamé et couvert de haillons,
l'homme estropié que ses infirmités rendent incapable de travail.
Qu'un voyageur frappe à la cabane du paysan russe, elle lui sei-a ouv
e r t e sans hésitation, et tout ce que possède le rustique ménage sera
mis k la disposition du nonvel hôte. Le brave homme ne songe d'ailleurs
nullement ii s'informer au préalable du culte de son hôte ou de
sa position sociale. Il songe encore moins, malgré son goût assez prononcé
poni' l'agréable bruit des roubles, ¡\ comptei- snr un témoignage
quelcon(|uc de reconnaissance. On trouve cependant dans les cabarets
des grandes routes le même penchant i)Our l'argent du voyageni- iju'ailleui
s en Europe. Le criminel le ])his obscur qui, rivé à la cliaine, traverse
il pied villes et villages pour se rendre dans les déserts ou les
mines de la Sibérie, n'est, ii ses yeux compatissants, qu'un malheui-eux
digne de |)itié. Toute main russe qui peut disposer de quelques copecs
s'ouvi'e alors ]iour adoucir les douleurs du prisonniei'.
Ou doit remarquer aussi le penchant ])renoncé des Russes ])Oui- l'iussociation
et leur antipathie pour le princi])c corporatif; il en résulte
souvent une irrégularité de formes, un défaut de solidité et de stabilité
qui se font sentir dans beaucoup de relations.
l ) e même que, dan.ç la Grande-Russie, le vent souffle de l'est et de
l'ouest, du nord et du sud, sans rencontrer de résistance, et qu'au printemps
les eaux inondent des plaines à iiei'te do vue; de même qu'il
n'existe pas de profundes vallées ni de ces montagnes formant des foiteresses
naturelles, vénérables cimes qui dominent le ]iays et donnent
aux habitations un cachet particulier et caractéristique ; de même aussi
la vie intellectuelle et morale du Russe n'oflVe qu'en faibles germes des
principes arrêtés, des pensées fondées sui' nu raisonnement solide, et
point de classe sociale qui i-epj'ésente un principe raisonné et arrêté, Le
Russe s'associe,pour tout et avec tout, selon que semblent l'exiger les
avantages communs: il s'associe pour le travail, pour la cohabitiition,
les voyages, la chasse, la pèche, la fenaison, la moisson, le cinnmei'ce
et l'industrie.
L ' e s p r i t de discipline, très-évident dans les associations, ne se l'otrouve
])lus dans les corpoi-ations, pour le priucii)o desquelles le Russe
a une antipathie innée. Le Russe obéit lìlutòf par le coeur (ine par la
raison, d'où résnlfout de fréquentes transgressions de la loi dès que
celle-ci ne répond pas anx intérêts privés, l'absence d'iiitérét public
ainsi que de tendances arrêtées, et l'intluence duminante de la personne
sur lachóse, de l'individualité sur la position, de la crainte sur la persuasion.
Le maréclial Jlannont a dit : -T Le caractère ])articulicr des
Í peuples non civilisés est d'être beaucoup plus soumis anx iniluences
Í personnelles qu'aux lois; ils s'attachent facilement mi homme; c'est
< le premier lion qui peut les unir; il faut déjà quelques lumières poni-
< p o r t e r du respect à la l'ègle et s'attacher à cette puissance niorale
f placée hors de l'action de nos sens. »
L e Russe est peu attaché au foyer paternel ; il ne témoigne eu effet
que bien peu d'aftection pour le coin de terre qu'il occupe et pour le
sol, qu'il ne cultive d'ailleurs que jieudant un temps limité, La cause
de cette indifférence doit sans doute être attribuée au manque de pro-
])riétés foncières parmi les paysans, car les communes n'ont jamais émigré
en masse et sans exception. Le plus souvent il s'en détachait quelques
membi'es qui se réunissaient ii d'autres et formaient nue nouvelle commune.
Chez eux, dans leurs vilhiges, les Russe.s ne se sentent intimement
liés qu'il leur famille, il leurs voisins, ii la commmie, aux individus,
mais pas au sol iii au lien ([u'ils habitent; et en cela ils présentent
un fi'appaut contraste avec les peuples gennani(jues, avec ceux de race
latine, et uiême avec les Slaves occidentaux, chez lesquels l'attacliemeut
pour le foyer paternel se montre dans toute sa force et sa vivacité.
L e Russe est propre à tout ; il est peut-être, de tous les peuples,
celui qui a le plus d'esprit pi-atique pour se créer une ]>osition convenable.
Jlais quant cette qualité si essentiellement particulièj'e au Germain,
qui consiste dans l'attachement, l'amour qu'il porto à sa profession,
à son travail, le Russe l'ignore complètement. Le Germain, et surtout
l'Allemand, aime son ét;at et ne l'échangerait pas vulontiers contre
un autre; il reste fidèle à la profession ou à l'industrie qu'il a emb
r a s s é e ; il s'y livre avec persévérance, avec amour et avec nn certain
o r g u e i l ; il tient à honneur de perfectioimer son oeuvre et se réjouit
du résultat qu'il a obtenu. Dans la position qu'il a acquise, il croit reconnaître
une destination ])ai'ticulière de la Providence, et juge de son
devoir d'y restci- fidèle. Sous ce rapport, le Russe a une manière de
voii- foute différente : il remarque une chose, recueille un renseignement,
acquiert une notion sur tel ou tel objet, et cherche à en tirer
parti de quelque manière que ce soit; quant à l'amour de son état, à
une sorte de culte pour sa profession, il n'en saui'ait être question.
S'agit-il de fixer le prix de son travail, il n'a pour cela ni ])i'incipe
ni règle arrêtée, et tâche d'obtenir le i>lus qu'il peut. Ce sentiment
d'honneur ou plutôt de conscience ([ui fait un ilevoir ÎI l'ouvrier de fournil
un ouvrage solide et bien confectionné, il ne le coimiiît ])as ; il ne
travaille que pour l'a])])arence, pour débiter plus vite sa marchandise.
Si un métier ne lui réussit pas bien, il en choisit un autre (|uel qu'il
soit. Ses occupations varient souvent selon la saison, les circonstances
et la localité. Cejiendant son goût ]jour le trafic et les jietites spéculations
le conduit h mener toutes sortes d'affaires, jusqu'à ce qu'eniin
il s'établisse quelque part; et ,si la chance lui est favorable, il finit
])ar devenir un véritable coinmeri^aut. Devenu riche marchand, fabricant
ou entrepreneur (podroedchilc), il n'eu aime ¡las davantage pour cela
son état ou son industrie qu'il ne considère que comme nn moyen de
s'enricliir. S'il a des enfants, il donne îi l'un d'eux peut-être une direction
analogue il sa position, afin de le préjiarer à le seconder dans
ses affaires, et (uiiquenient pour tniiivei' en lui un aide sûr et fidèle ;
quant anx autres, il fail tout son jiossible ])onr leur l'aire donner
une éducation qui les rende ]iro])res an service militiiirc , anx einjilois
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