
P E U P L E S INDO-EUIIOPÉENS. 29
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c i v i l s , ctc,, et leur facilite «ainsi les moyens d'acquérir hi noblesse.
L'iioimiie du peu p ie, le paysan, est bon, simple et d'un excellent naturel ;
mais d(>s qu'il a acquis de l'argent et qu'il est devenu inarcliand, spéc
u l a t e u r , etc., il se gâte souvent et ])erd insensiblement sa candeur et
sa loyauté uaturclles. L'impoi-tance de la position étant tròs-gj'ande,
le rang, les titi'cs, la représentation, les manières, le maintien, en iin
mot, tout ce qui peut donner de l'iafiuencc, conséquemment aussi la
richesse (ainsi que cela se voit pnrtout aujoiird'lmi) , ont en Russie
luie très-haute valeur. Comme il existe en général une concurrence
complètement libre pour obtenir des places, des dignités, une position,
personne ne se croit, coinme en Allemagne , prédestiné ii telles ou
telles fonctio)is, et certaines classes n'ont pas non plus le privilège exclusif
des emplois et des dignités. Il n'existe de fait presque aucun
esprit de caste, mais aussi, par compensation, peu d'esprit de corps et
pas assez de conscience de la portée sjjécialc de l'état qu'on a choisi.
L'absence de convictions intimes fait que le sentiment du devoir n'est
pas toujours assez fortement prononcé : on aime à acquérir les di'oits
des classes privilégiées en négligeant souvent les graves obligations qui
y sont inhérentes.
L e Russe est patient et calme ; une sorte de fatalisme l'aide ii parvenir
au but qu'il s'est proposé et à supporter avec résignation bien
dos choses pénibles. «Dieu le vent ainsi, qu'y faire? — Telle est la destinée
!> Voilii ce qu'il dit en se soumettant à son sort. Il est liouime
de sentiment plus que de conviction ; il est soumis sa première impression;
mais dans son appréciation il se préoccupe rarement des motifs
qui le font agir et n'a pas d'opinions jiarfaitemcnt arrêtées; c'est pourquoi
il tombe facilement en mille contradictions. Il est crédule, exclusif
dans ses jugements, curieux et bavaid, extrême jusqu'à l'cxagéj-ation,
môme loi'squ'il fait le bien, et se laisse entraîner par le coeur i)lus souvent
qu'il n'agit d'après un principe. Il est capable des plus ridicules
actions comme des plus nobles. Ce défaut de conviction et de réflexion
Ini rend nécessairement difficile ce qui exige de la discipline, de la lu'isévérance,
un dévouement constant et de la stabilité. Le Russe n'a pas
l'àme rancunière ; il est un peu rude, mais bon : il a le sentiment ti-èsprononcé
de la justice et du droit; il supporte facilement un acte de
sévérité, s'il est accom])agné d'une certaine bonhomie appuyée do marques
d'intérêt. Celui qni est institué pour le gouverner, chef, maître ou
s u p é i i e u r , doit bien se garder de laisser soupçonner la moindre incertitude
dans ses pai'oles on dans ses actions. Le Russe demande toujours
une décision positive, sui tont s'il s'agit do quelque dissentiment. S'il aperçoit
de l'indécision dans les oi'dres qu'on lui donne, il devient difficile
et récalcitrant.- Mais on ne doit jamais manquer de se montrer paternel
: dans tout ce qui lui est prescrit, le peuple doit reconnaître la
voix du père; l'ordi'e doit émaner de la sollicitude paternelle, comme
l'obéissance vient de la piété filiale. Ceci bien observé, s'il arrivait par
hasard que l'ordre fut maladi-oit, injuste, et parût même contraire au
but proposé, on n'y verrait qu'un léger inconvénient.
Le Russe est disposé aux pins grands saci'itices pour jouir des charmes
de la société ; le plus dur châtiment qu'on puisse lui imposer, c'est
la solitude; rien ne lui parait pins désirable qu'une henre passée en
joyeuse compugnic, an milieu d'agréables connaissances et de bons amis.
L e caractère national russe des classes élevées est empreint d'une certaine
gaieté facile et pleine de mobilité. Le sentiment et les sons le
dirigent facilement : aussi n'aime-t-il ni la règle ni une existence systématiquement
ordonnée; il a besoin du plus grand laisser aller; il veut
pouvoir circulci- ii. son aise, rester au logis ou voyager en pays étranger,
selon son bon plaisir et son goiit du moment; il ne veut pas être astreint
à une vie d'ordre et d'économie; il aime le changement, le hasard, le
jeu, etc. Dans sa famille et son intérieur, il ne supporte point les formes
inflexibles et les règles tixes; point de rapports nettement tranchés entre
les pei-sonncs do son plus proche entourage. jVe voulant ))as être régi,
dans sa vie intime, par des ordres absolus ou des idées théoriques, il
aime son libi'e arbitre et veut qu'on ait égard aux éventualités qui
peuvent se produire et aux circonstances du moment.
L'homme du peuple, en Russie, manque d'esprit de prévoyance; son
penchant pour la desti'uotion l'emporte sur le besoin de conserver
e t se manifeste d'tnie façon toute [larticulièi'e. Cela tient ii. ce qu'en
raison du servage qui vient d'éti'o aboli, il était jadis dépourvu de
notions justes et précises sur le droit de propriété et sur le respect
qui lui est dii. 11 vit de préférence pour le mom en 1 présent et m;
se soucie pas de pi'épai'or des germes ([ui ne doivent produire leurs
f r u i t s que beancou]) plus tard. Il fait tout avec une sorte de i)récipi(ation
et avec une énergie momentanée, excitée en lui par le désir ardent
de voii' aussi |)romptemcnt que possible le lésultat immédiat de ses
actions et de ses efforts. 11 ne sait rien mcnagci-, et ce soin est d'autant
plus éloigné de sa pensée que, n'ayant ou bien souvent aucune |n-op
r i é t é fi lui, il considérait, en nu certain sens, le bien de son maître
comme le sien, puisque lui-même appartenait ^^ ce maître; et dans sou
idée, ce n'était pas lui causeï' un ¡¡réjudice que de profiter de ce qui
lui apparfenait, La grande destiuctioii des foiêts ])articulières ; le mauvais
état des routes, des chemins de ti-avcrse et des ponts dans les
t e r r e s des propriétaires fonciers; la culture des champs, si arriérée et
si défectueuse; la snrveilkince dos troupeaux, déplorablement négligée:
tout atteste chez le Russe l'insouciance du caractère, l'absence du désir
d'acquérir par un travail pei'sévérant, l'indifférence ])our la jn'opriété
et les jouissances qui en résultent; ce qui ex])liquc la lenteur des ijrogrès
de la civilisation et des ma'urs. Aussi longtemps que subsistera le
principe «que chacun a droit îi sa pai't des terres de la commune,» il
est difficile d'espérer un progrès réel et duiable, fondé sur la propriété
privée, parce que ce principe paraît s'opposer à la liberté de l'industrie
et des ti'ansactions qui en sont la suite. Accoj'der à chacun le droit et
la possibilité d'acquérir et de posséder des biens fonds, et de consej'ver
cette propriété dans sa famille, en la préservant, pai- certaines réserves,
d'un trop grand morcellement, toi pai'ait êti'e le moyen sur de liâter le
progrès de l'agriculture et de faire prospérer eu tout sens la classe
agricole. L'Etat, eu effet, est aujourd'hui ce c[u'était la commune autrefois;
voilà poui-quoi le membre de la commune, le cultivateur, doit jouir
de certains droits et êti'C tenu vis-à-vis de l'Etat aux mêmes obligations
qu'il avait jadis à remplir vis-à-vis de la commune. Le mode de
répartition du terrain établi il y a un millier d'années, admissible alors
])oui- la population clair-semée d'un pays d'une immense étcmlue, avait
été créé par les ra|)ports les plus naturels, les i)lus simples et les plus
directs ; mais il ne pourrait ¡¡lus servir aujourd'hui de règle absolue ni
ê t r e considéré comme une base sufhsante.
Le reproche d'iniprobité adressé au Russe est malheureusement souvent
fondé et résulte des conditions sociales dn passé. Aussi longtemps
que les habitants des villages n'ont aucun rapport avec les villes, les
entrepreneurs, etc., il règne parmi eux une probité et une loyauté tout
il fait remarquables, notamment dans les districts <lu nord, où l'on a par
excellence riiabitude de se réunir en petites associations pour un tiavail
en commun (artel). On y trouve, en général, une simplicité naïve,
des rapports mutuels et des relations qui nous ramènent par la pensée
;\ux temps antiques. Malheureusement, ces moeurs si belles, si véritablement
chrétiennes, ne l'ésistent pas toujours aux influences diverses et
])uissantes du monde actuel, au contact des rajijiorts multipliés de la vie
journalière et des exigences qu'entraîne une existence plus réiianduc.
Ces beaux traits, ces mouvement-s spontanés dn coeur humain nous impressionnent
comme des témoignages du passé ; ce sont des qualités instinctives
et non raisonnées, innées et non développées, transmises et
non acquises; c'est pour cela qu'elles succombent si .souvent dans la
lutte contre la corruption du siècle, contre la vie actuelle et les lap-
])orts qu'elle fait surgir. Ou peut affirmer qu'il y a une immense exagération
dans ce i-eproche d'improbité formulé contre les Russes, quand
on l'étend à toutes les classes de la population et à toutes les régions
du pays. Dans les contrées hahitées par le simple propriétaire rural, le
modeste marchand ou le paysan, les Russes sont aussi probes, aussi honnêtes,
aussi droits et aussi sûrs qu'on puisse l'être dans quelque auti-e
p a i t i e que ce soit du reste de l'Europe. Dans toute la Russie, le peuple
des classes iuféiicures ne dresse jamais d'actes publics poui' le règlemont
do ses droits, même lorsqu'il s'agit des plus importantes stipulations
lelatives à la piopriété. En ce cas, tout se ti-aite simplement sur
parole, de contîance et avec pleine loyauté.
Il n'existe probablement aucun pays où l'on puisse faire, comme tlans
la Orande-Uussie, de très-lointains voyages à ti'avers d'épaisses forêts
ou de vastes plaines en aussi pai'faite sécurité. Les larrons sont, il est
vrai, assez nombi'oux dans les villes et sur les grandes routes; toutefois
le guet-apens, le brigandage et le meurtre ne s'y montrent que bien
l a i c m e n l ; et même, dans les grandes viiles, les crimes contre la pro-
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