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gue expérience leur a fuggeré. Car il faut convenir qu’il fe
rencontre des Praticiens qui trouvent dans la fuperiorité
de leur génie des reffources merveilleufes, & qu’en général
, e’eft aux perfonnes de ce caraétere que l’on eft redevable
de ce qu’il y a de plus heureufement imaginé dan*
les Arts. Mais que l’on y prenne garde, lorfqu’on eft capable
de méditer un projet & de captiver long-tems fon
attention fur une même chofe pour en développer toutes
les faces afin de ne fe déterminer qu’en faveur du parti le
plus avantageux, cette maniéré de penfer eft une vraie
théorie à laquelle on doit le fuccès qui en eft la fuite. Alors
fans le fqavoir on imite les Géomètres, on en a l’efprit &
les vues, puifqu’on cherche à parvenir au même but. Toute
la différence, c’eft que les uns y arrivent fans s’égarer par
une voie dont ils connoiffent la marche, au lieu que les
autres, privés des lumières qui pourraient les guider, font
expofés à faire bien des faux pas. Quand il faut mefuret
exactement des efforts dont les directions, les leviers,
les appuis ne font pas fenfibles, ce font toujours des recherches
fort difficiles. Il fe rencontre fouvent des cas où
les puiffances dont.on doit confîdérer l’aétion renferment
des rapports fi compliqués, qu’il n’eft pas poffible de les
appercevoir fans le fecours d’une théorie fort délicate, à
laquelle on ne peut atteindre fi l’on n’eft prévenu d’un
grand nombre de connoiffances acquifes par une étude fui-
vie. Il eft des chofes effentielles à fçavoir que l’expérience
napprend point, & qu’on ne peut ignorer quand on veut
voir clair à ce qu’on fait. Je m’en rapporte à la bonne foi
de ceux qui font travailler depuis long-tems ; il n’y en a
pas qui n’ayent fenti dans mille occafions qu’il leur man-
quoit certains principes dont ils auraient voulu être inf-
truits. La plupart ont entamé une carrière qui n’étoit pas
encore frayée, & même fourni aux Sqavans de nouveaux
P R É F A C E . «j fujets d’exercer leur fagacité. Il ferait bien jufte que ces
derniers à leur tour, leur donnaffent des maximes pour agir
plus exactement. Dans quelque claffe qu’on foit placé,
nous devons concourir unanimement au bien de la fo-
ciete ; c’eft un devoir indifpenfable qui doit faire la principale
qualité d’un bon citoyen. Que fi l’on étoit en
droit d acculer d un peu de négligence ceux qui ont la conduite
des ouvrages qui intéreffent l’Etat, ce reproche devrait
principalement regarder les jeunes gens qui peu touches
des devoirs du parti qu’ils ont embraffe , affectent
d exalter la pratique au mépris de la théorie-, efpérant parla
autorifer leur peu de goût pour l’étude ; mais connoif-
fent-ils cette pratique à laquelle ils veulent fè borner? Us
nen peuvent avoir qu’un fentiment confus ; fans expérience
&-fans faire ufage de leur jugement, fqavent-ils le parti
quil faudra prendre dans les cas difficiles qui peuvent fe
prefenter ? Occupés d’objets frivoles , ils s’entretiennent
dans un état de médiocrité fans fe mettre en devoir d’ac-
querir de la diftinCtion, & fans réfléchir qu’on s’inftruit
bien lentement quand on n’apprend les chofes que lorf-
que la néceffité nous oblige de les confidérer. D ’ailleurs
ce ferait un grand abus de fe prévaloir de l’exemple de
leurs Anciens qui n’ont paslaiffé de fe rendre recommandables
par un chemin fi long ; s’ils avoient eu les mêmes
fecours qu’aujourd’hui, il n’y a point de doute qu’ils n’en
euffent fait un meilleur ufage, & je ne veux d’autre preuve
que le mérite d’avoir prefque tiré de leur propre fond ce
qu’ils ont d’acquis.
Si bien des gens penfent que les Mathématiques font
d une foible reffource pour rectifier la pratique, cela vient
de deux caufes. La premier® de ce qu’ils veulent limiter
1-etendue d une Science qu’ils ne connoiffent pas. La fécondé
de ce que les Mathématiciens n’ont point affez ap