
point encore assez considérable pour m’éclairer suffisamment. De nouvelles
erreurs manifestes, dans lesquelles je tombai, dévoient me
conduire à la vérité. J’avois remarqué, accidentellement, que chez
quelques musiciens célèbres, la partie supérieure du front étoit comprimée
par les côtes, tandis que sa partie inférieure étoit au contraire
très-large, immédiatement au-dessus des yeux, et je me dis, peut-être
que cette forme triangulaire du front est le signe d’un grand talent pour
la musique. Mais je ne tardai pas de rencontrer des musiciens tout
aussi distingués, qui avoient la partie supérieure du front également
très-large et très-bombée, et cette observation me convainquit que je
n’avois point encore trouvé caractère extérieur du talent pour la
musique. Mes amis étoient très - disposés à regarder ces frouts larges
dans la partie supérieure, comme une exception à la règle, qui se trou-
voitpar là plutôt confirmée que contredite; mais moi, je fus plus sévère
envers moi-même : élève de la nature dès ma première jeunesse, je ne
pus supposer qu’il y eût en elle rien d’indéterminé et de vague.
Ses lois doivent être immuables et fixes ; et toute exception , portant
sur ce qu’il y a d’essentiel dans le phénomène, me sembla prouver
que la loi du phénomène n’étoit pas découverte. Je continuai donc mes
recherches jusqu a ce que je trouvai un caractère commun à tous les
grands musiciens que j’eus lieu de voir successivement, et qui se présentât
constamment le même. Je multipliai mes observations autant
qu’il me fut possible.
J’eusse été dans l’impossibilité de faire de semblables découvertes
dans une sphère moins étendue, et dans une ville moins populeuse et
moins fréquentée par les étrangers à talens, que celle où je vivois.
Plus les observations isolées se multiplioient, plus .il étoit probable
que j’avois réussi à déterminer avec exactitude le siège de l’organe. Par
bonheur , mes premières recherches furent dirigées sur des qualités, et
des facultés qui se rencontrent assez fréquemment. Lorsqu’on poursuit
ses recherches avec persévérance, lorsqu’on est assez heureux pour continuer
ses observations pendant vingt, trente, quarante ans, sous les
rapports les plus variés, sur des personnes instruites et sans éducation,
sur les riches comme sur les pauvres; de les répéter de mille manières,
chez les nations les plus différentes, et qu’on les trouve toujours confirmées
; lorsqu’on a reporté ses regards dans les temps les plus reculés,
et que l’on a étudié les bustes, les portraits, les gravures des hommes
qui se sont immortalisés dans l ’histoire par des qualités ou des facultés
dont on constate l’organe ; lorsque l’on a étudié la biographie de ces
hommes; quon les a suivis depuis leur jeunesse, que l’on s’est instruit
des moyens qui ont servi à leur développement; et que l’on n’a jamais
trouvé une seule exception, jamais rencontré une seule contradiction,
on peut soutenir avec assurance que l’on est sur la voie pour découvrir
une vérité nouvelle.
L on ma fait 1 objection que ce qui est vrai à Vienne, pourrait bien
être faux à Paris ou à Londres. Nullement; les lois de la nature sont
partout les mêmes. Une telle crainte ne m’a jamais arrêté ; aussi j’ai
trouve ma confiance dans 1 uniformité des lois de la nature, confirmée
dans tous mes voyages.
Mais je dois faire ici, aux jeunes naturalistes, une observation d’un
autre genre. D'abord, l’on ne doit pas s’attendre à trouver chez tous les
individus qui se croyent doués de telle qualité ou de telle faculté, l ’organe
qui y correspond, développé à un degré remarquable. Peu de
personnes connoissent les différens degrés et la plus grande énergie
possible des qualités et des facultés; celles qui ont été élevées
isolées dans la maison paternelle, les connoissent le moins. Il faut
avoir eu des occasions fréquentes de se comparer à d’autres, pour
bien juger le point de 1 échelle où l’on se trouve placé à cet égard
soi-même. L’homme médiocre place la borne dans un point que
l’homme dé génie dépasse dès son entrée dans la carrière. Ce que le
génie, dans sa force innée, aperçoit à peine en lui-même, paraît à la
médiocrité, exagéré, fantastique, hors de nature, inconcevable,
fou. On doit donc se tenir sur ses gardes, èt ne choisir pour sujets de
ses observations, que des hommes dont la qualité ou la faculté éminente
soit bien reconnue et bien constatée par leurs faits ou par leurs
productions. r