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Ces observations ne durent-elles pas faire naître en moi l’idée que le
penchant à voler pourroit bien aussi être produit en dernier ressort par
l’organisation? Tous les sujets de mes observations étoient absolument
les eufans de la nature, abandonnés uniquement à eux-mêmes. Aucun
d’eux n’avoit reçu la moindre éducation ; on pouvoit donc bien regarder
leur manière d’agir comme le résultat de leur organisation. Ceux
qui avoient le vol en horreur, étoient souvent précisément ceux dont
l’éducation avoit été la plus complètement nulle. A quoi attribuer
cette différence dans la conduite de ces jeunes gens, dont les besoins
et les alentours étoient les mêmes, et qui avoient sous les yeux les
mêmes exemples ?
J’étois médecin de l’institution des sourds-muets. On y recevoit d’ordinaire
les élèves à l’âge de six à douze ou quatorze ans, sans aucune
éducation préliminaire. M. May , psychologiste distingué, alors directeur
de l’établissement, M. Venus, instituteur, et moi, nous nous trouvâmes
à même de faire les observations les plus exactes sur l’état moral
primitif de ces enfans. Plusieurs des sourds-muets avoient un penchant
prononcé pour le v o l, d’autres n’y montroieut pas la moindre disposition.
La plupart de ceux qui avoient volé d’abord, étoient corrigés au
bout de six semaines ; il y en avoit d’autres avec lesquels on avoit plus
de peine , et quelques-uns furent incorrigibles. On infligea à plusieurs
reprises, à l’un, les châtimens les plus sévères ; on le mit dans une
espèce de maison de correction, mais tout cela fut inutile. Comme il
se sentoit incapable de se corriger, il ne voulut pas apprendre d’autre
métier que celui de tailleur, parce que, disoit-il, dans cet état il pourroit
se livrer impunément à son inclination.
Chez tous cesjeunesgens, ma première observation s’est trouvée confirmée
d’une manière d’autant moins douteuse, que leur penchant au
vol étoit plus actif et plus invincible. Ici encore, l’éducation ne pouvoit
être comptée pour rien ; du moment où les jeunes gens étoient reçus
dans l’institution , leurs besoins, l’instruction qu’ils recevoient, et les
exemples qu’ils avoient sous les yeux, etoientles mêmes. Je devois donc
conclure encore , que le penchant à voler n’est point un produit artificiel
mais qu’il est naturel à certains hommes, et inhérent à leur organisation.
Je moulai encore en plâtre toutes les têtes de ces voleurs
déterminés, pour avoir sous les yeux un plus grand nombre de comparaisons.
A la même époque se trouvoit dans la maison de force un garçon
de quinze ans, qui, dès sa plus tendre enfance, avoit volé malgré tous les
châtimens qu’on lui avoit infligés; reconnu incorrigible, il étoit condamné
à une réclusion perpétuelle. C’est le même dont j’ai déjà parlé
tome I I , section III, p. 186. Il avoit la tête petite et non symétrique..
PI. XXVI. Le front très-fuyant; ses facultés intellectuelles étoient
tellement au-dessous du médiocre, que je fus très-étonné de ce que
l’on n’avoit pas, dès le commencement, attribué à cette circonstance
l’incorrigibilité de son penchant à voler. Chez lui, la région dont j’ai
parlé, est très-proéminente, etlapartie cérébrale correspondante étoit la
seule très-açtive; comme son activité netoit pas balancée par l’action
d’autres parties ; comme ce sujet n’étoit pas susceptible de motifs d’un
ordre relevé, elle devint dominante. Cet exemple fut pour moi une
preuve décisive que le penchant au vol est produit par une partie cérébrale
particulière, c’est-à-dire, qu’il a son organe propre.
Deux bourgeois deVienne, qui avoient toujours mené une vie irréprochable,
étoient devenus aliénés.Depuis leur aliénation, ils se dis-
tinguoient dans l’hospice, par un penchant extraordinaire au vol. Toute
la journée, ils parcouroient la maison pour dérober tout ce qui leur
tomboit sous la main, de la paille, des chiffons, des habits , du bois ;
ils cachoient soigneusement ces objets dans leur cabinet, qu’ils habi-
toient en commun; et quoique logés ensemble, ils se voloient mutuellement.
Chez l’un et l’autre la partie cérébrale en question étoit
très-développée, et la région correspondante du crâne très-saillante.
L ’exemple de ces individus fournit la preuve que l’homme, dont les
facultés intellectuelles ne sont pas trop médiocres, peut, tant qu’il est
en santé, vaincre l’impulsion funeste qu’il reçoit de certains organes;
mais il prouve aussi que le penchant au vol provient d’une partie cérébrale
particulière; car une qualité qui, indépendamment de toutes