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De même que la fourrure et l’arc appartiennent à l’individu , de
même la cabane et ses ustensiles appartiennent à la famille; et si les
femmes sont chargées des soins domestiques, il paroît aussi qu’elles
ont la propriété du ménage. Les enfans sont censés appartenir à la
mère, sans égard à la descendance du côté paternel. Les mâles, jusqu’à
ce qu’ils se marient, demeurent dans la cabane où ils sont nés;
mais dès qu’ils s’unissent à l’autre sexe, ils changent de demeure, et
deviennent une acquisition pour la famille dans laquelle ils ont pris
leurs femmes. Le chasseur et le guerrier sont regardés par la mère de
la famille comme une partie de sa richesse; ils sont réservés pour les
dangers et les actions, importantes. Preuves certainement suffisantes
que la propriété existe aussi bien chez les sauvages que chez nous.
L’enfant en bas âge veut avoir déjà une propriété. Il veut avoir ses
joujoux ; le petit garçon veut avoir ses soldats ; la petite fille sa batterie
de cuisine. Quels cris forcenés, lorsque d’autres garçons vouloient
m’enlever mes coquillages, mes papillons, mes nids d’oiseaux! Nous
avions chacun nos livres, nos plumes, notre petit jardinet. Si l’on
vouloit que les poules, les lièvres, les pigeons, les oiseaux fussent bien
soignés, il ne falloit point qu’ils fussent en commun ; l’un étoit à lu i,
l’autre à toi, le troisième à moi : qui auroit voulu s’inquiéter de la propriété
d’autrui !
Lorsque l’homme parvenu à l’âge adulte devient époux, chef de
famille, citoyen , homme industrieux, comment voulez-vous que sans
le sentiment d’un droit de propriété, il déploie la moindre activité?
Comment pourroit-il désirer la possession de certaines choses , s’il ne
supposoit pas dans les autres le respect pour la propriété ? comment
en général, si cç sentiment n’existoit pas, pourroit-on concevoir un
état de société ?
Henri Home ' a prouvé déjà que la propriété ne repose nullement •
• Essays on the principles of morality and natural religion, 5e. édit. 1779?
chap. Y I , justice and injustice.
sur une convention sociale, mais sur un sentiment particulier inte
rieur, et que tout empiétement sur la propriété dautrui est contraiie
à un autre sentiment également inné de justice et Aéquité. Lhomme,
en effet, n’est pas dans le cas des animaux carnassiers, qui lorsque
leur faim est assouvie se livrent au repos. Indépendamment de
l ’instinct qui le pousse à chercher sa nourriture, il a le désir de se
procurer la possession d’autres choses encore. 11 a besoin de calme
et d’une nourriture variée ; il renonce à la chasse et à la peche,
et se procure des troupeaux qui lui fournissent une subsistance
mieux assurée. Il retourne un morceau de terrain, le purge des
mauvaises herbes, l’ensemence et fait sa récolté : cest ainsique la
terre devient peu à peu la propriété de l’homme. Il fait des provisions
pour les différentes saisons, et pour subvenir à la disette; en cela, il
agit de même que les animaux, obéissant à une loi bien moins sujette
que sa raison à l’égarer, au penchant naturel et inné à faire des provisions.
Ce penchant seroit, sans le sentiment de la propriété, aussi peu
concevable chez l ’homme que chez les animaux. 11 seroit poussé sans
cesse à faire des provisions, et il sauroit d’avance que toutes ses peines
sont perdues. L’homme, dans ce cas, ne seroit-il pas en contradiction
avec lui-même? Sans le sentiment de la propriété et sans le respect
pour la propriété, il n’existeroit que le droit du plus fort; et même
sans ce sentiment, qu’est-ce qui porteroit le plus fort à s’approprier
les provisions du foible, plus industrieux que lui? Ainsi donc, 1 homme
qui amasse des provisions, comme celui qui les ravit, prouvent le penchant
à la propriété, et que ce sentiment est fonde dans la nature.
Nous attachons beaucoup plus de prix à un cheval, à un boeuf, à une
maison, à un jardin , lorsque ces objets sont notre propriété, que lorsque
nous n’en avons que l’usufruit. Comment se fait-il que nous trouvions
tous une injustice dans le vol et dans le brigandage, si le possesseur
n’a aucun droit de propriété sur l’objet enlevé ? Comment
pourrions-nous être affligés de la perte d un objet, si nous n avions pas
le sentiment de la propriété de cet objet? Il en est de ce sentiment
comme de toutes les autres qualités; si la nature ne l’avoit pas donné