
tieulier de ces deux hommes, dont les facultés et les qualités étoient
très-différentes, et qui ne se ressembloient que sous le rapport de leur
circonspection, et de cette conformation de leur crâne, fit naîte en moi
l ’idée, que l ’irrésolution, l’indécision et la circonspection pourraient
Lien tenir au développement considérable de certaines parties cérébrales.
En très-peu de temps, les réflexions que je fis sur cette qualité, et
de nouveaux faits qui se présentèrent, convertirent mes présomptions
en certitude.
Histoire naturelle de la circonspection chez l’homme.
Il étoit nécessaire que l’animal et l’homme fussent doués d’une
faculté , pour prévoir certains événemens, pour pressentir certaines
circonstances , et pour se prémunir contre les dangers. Sans cette disposition
, l'homme et l’animal ne vivraient jamais que dans le présent,
sans être capables de prendre aucune mesure pour l’avenir. Mais cette
disposition est dispensée d’une manière très-inégale aux difféfens individus
qui composent notre espèce. Dans ma famille, plusieurs de
mes frères et soeurs étoient, depuis leur enfance, imprévoyans et légers
à l’excès; d’autres montraient, dès l’âge le plus tendre, une circonspection
et un caractère très-réfléchi. J’eus occasion d’observer la même
différence à cet égard parmi mes condisciples, mes amis et mes con-
noissances Je poursuivis mes observations dans un grand nombre de
familles, tant du peuple que des conditions plus relevées, et partout
je trouvai deux classes de personnes. L ’une, à laquelle on faisoit le reproche
de légèreté, d’imprévoyance et de défaut de circonspection ;
l’autre , à laquelle on accordoit de la prévoyance , et un caractère
posé, réfléchi et circonspect. Les personnes delà première classe ne
vivent que dans le présent, sont d’ordinaire d’une humeur gaie, s’abandonnent
sans réserve à leurs sentimens, prennent brusquement des
résolutions, font des entreprises hasardeuses, sans beaucoup se consulter,
et sans consulter les autres. Dans leur vie domestique, des désa-
grémens , des malheurs même , sont la suite de leur imprévoyance. Là,
dans l’obscurité, elles se heurtent contre une table, brisent la vaisselle
pour n’avoir point rangé ces objets ; ici, un enfant tombe dans l’eau en
jouant dans le jardin, parce qu’elles ont négligé d’entourer leurs bassins
d’une balustrade. Elles perdent les sommes qu’elles ont prêtées , pour
n’avoir pris aucune espèce de précaution ; courant à cheval sur un pavé
glissant, elles tombent, perdent souvent la vie pour n’avoir pas prévu
les dangers qui les environnoient; un rat, un chat, entraînent la chandelle
quelles ont laissé allumée, et qui devient là cause d’un incendie.
Donnez à un général ainsi organisé, de la vivacité, de l’ardeur, de
l’intrépidité, vous le verrez comme Pyrrhus, s’exposer sans ménagement,
ainsi qu’un simple soldat, ainsi qu’un aventurier, sans aucune
règle dans ses entreprises, et s’y livrant toujours par étourderie et par
impuissance de réflexion.
Lespersonnes de la seconde classe se tiennent constamment sur leurs
gardes ; elles savent qu’il est bien plus difficile de soutenir sa réputation
que de s’en faire une, et que, par conséquent, chaque nouvelle entreprise
doit être suivie avec le même soin, comme si l’on faisoit les premiers
efforts pour se faire connoître. Elles prévoyent de loin tous les dangers,
les événemens heureux et malheureux dans chacune de leurs entreprises ;
elles demandent conseil à tout le monde, et souvent après avoir recueilli
tous les avis, elles restent encore indécises. Elles ont pour adage, que de
cent malheurs qui nous arrivent, il y en a quatre-vingt-dix-neuf qui
viennent de notre faute ; jamais ces personnes ne cassent rien ; elles
passeraient leur vie à tailler des arbres , à charpenter, sans se
couper; jamais elles ne perdent de sommes considérables; enfin
elles sont un sujet de critique pour les personnes inconsidérées qui
trouvent leur prévoyance outrée, leurs précautions minutieuses.
Les personnes douées de cette qualité à un très-haut degré, exposées
aux regards de l ’univers, et entourées de circonstances périlleuses,
travaillées par des craintes, etc., prennent mille précautions, s’entou