
Je ne crois pas que cette conduite constamment uniforme des enfan-s
se fonde sur de semblables réflexions. J’y vois bien plus naturellement
la première manifestation enfantine de l’orgueil.
Que l’on persuade aux hommes , ajoute-t-on , que la place la plus
basse est la plus honorable, et tout le monde la préférera.
Je l'accorde ; mais je crois que cela n’arrivera que parce que l’homme
est assez raisonnable pour attacher plus de prix à une place de distinction
morale qu’à une élévation purement physique.
Toutes les expressions par lesquelles nous désignons l ’orgueil, ou
par lesquelles nous exprimons le prix que nous attachons à une chose,
ou moral,, sont prises de la hauteur physique, jll porte le nez haut; il
s’élève ; il monte de plus en plus ; il se rengorge ; il se pavanne ; il nous
regarde du haut de sa grandeur’; il est sur le pinacle; il a vaincu tous
les obstacles qui s’opposoient à son élévation; il a l’air hautain; il a
l ’humeur, la mine et les manières hautaines; ses hauteurs lui font beaur
coup d ennemis, etc. Toutes les expressions par lesquelles nous désignons
le contraire de l’orgueil et du prix que nous attachons à une chose
au moral, sont prises dans le sens inverse de la hauteur physique.
L ’hypocrite rampe; il rentre en terre de honte ; rien n’est plus digne
de mépris que la bassesse; rabattre l’orgueil, la fierté ; fouler aux pieds
son crédit; sa faveur baisse; Dieu abaisse le superbe; Rome abaissa
l’orgueil de Carthage; s’abaisser à des choses indignes de'soi;,se prosterner
devant la majesté de T’Etre suprême; l’humble s’abaisse; lorsr-
qu’on veuttoujours s’élever, on doit craindre d'être forcé de descendre.
Piron voulant peindre le caractère altier de Gustave Wasa, monta
iftachinalement sur une échelLe, poussé par un instinct aveugle. Ainsi
placé, les pensées , les images et les expressions propres à son tableau
vinrent sp présenter en foule à son esprit. Hylas joua un jour un rôle
quifinissoit par ces mots : le grand Agamemnon ! L’acteur, pour rendre
cette idée de grandeur, se dressa violemment. Engel'observe,,dans, sa
Mimique , qu’Hylas eût dû seulement se soulever sans trop d’effort,
rendre par sa pose l’élévation et la noblesse , et exprimer dans ses
traits le sérieux d’un homme qui réfléchit profondément ; qu’alors sa
pantomime eût précisé davantage l’idée de la grandeur morale d’un
souverain.
Fouquet, connu par ses profusions, son orgueil et son ambition, fit
placer dans ses armes, et dans plusieurs endroits dé son magnifique
château, un écureuil avee la légende : quo non ascendam, où liemon-
terois-je pas?
M. B*‘ * avoit toujours été rempli d’une fierté qui I’empëchoit de
familiariser, dans son enfance, avec ses camarades, et plus tard avec
ses égaux. A la suite d’une blessure à la tête, par laquelle l’ôrgane des
hauteurs se trouva lésé, et pendant la convalescence qui fut très-
longue , cette faculté s’exalta chez lui au point qu’il traitoit ses supérieurs
comme des subordonnés, et qu’il leur écrivoit des lettres par
esquelles, dans un style bref et impératif, il leur enjôlgnoit de lui
accorder telle ou telle faveur, telle ou telle distinction. Il étoil en même
temps devenu sujet à des visions, dont on verra dans un instant la
nature. Ces détails m’ont été communiqués par sa femme. En voici de
plus étendus que présente sur sa maladie la lettre suivante, écrite par
lui-meme, et dont l’original est entre nos mains.
« Je réponds au désir que vous avez de connoîtré les circonstances
diverses d’un accident qui m’est arrivé à ****. J’aurois pu faire un tableau
plus étendu de toutes les visions que j ’ai eues pendant ma maladie si
je m’en étois avisé dans le temps-; mais j’ai cherché à les oublier pour
ne pas devenir fou; c’est déjà être un peu fou que de s'occuper de ses
visions. Voici le fait.
« Je venois de changer de logement. J’étois fort mécontent de mon
domestique; et, le jour de mon accident, je lui avois donné l’ordre
d’aller coucher au château de ***. Revenu seul dans ma chambre, vers
les dix heures du soir, ( c’ëtoit, je crois, dans le mois de décembre) je
me disposois à me coucher ; et, après m’être déshabillé, j ’éteignis le fèu
de mon foyer. En me relevant, je me frappai à la partie supérieure
de la tête, la plus élevée en arrière, contre un clou que l’on avoit fiché
au-dessous du manteau de la cheminée : son objet étoit, à ce qu’il
paroit, de soutenir une ficelle, par laquelle nos prédécesseurs dans lé