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fondamentale. Or, dans la manie, l’orgueil, la fierté et la hauteur sont
souvent portés à un degré extrême.
« Il est ordinaire, dit M. Pinel, de trouver l’aliénation jointe avec
un ton présomptueux, et toute la bouffisure de 1 orgueil , seulement
durant l’accès, et comme un symptôme qui lui est propre. Ce même
vice, porté dès la jeunesse à un très-haut degré et comme inhérent
à la constitution, peut aussi prendre peu à peu de l’accroissement,
s’exalter et devenir la cause d’une manie réelle. Un homme d’un âge
moyen et d’une haute stature, se faisoit remarquer par la durete de
ses propos et de ses réponses , non moins que par ses emportemens
violens et ses moeurs austères. Sa contenance et les traits de son visage
portoient l’empreinte de la hauteur et de 1 esprit le plus ombrageux
et le plus morose; c’étoient des inquiétudes continuelles, des reproches
amers, faits à tous ceux qui l’environnoieüt, ou même des invectives.
Sa sauvage misanthropie augmenta encore par des revers de
sou commerce, et ce lut alors que la manie se déclara. Il tira des lettres
de change pour des sommes exorbitantes sur son banquier, ainsi que
sur d’autres maisons qui lui étoient étrangères, et bientôt après il fut
renfermé pour cause de folie. Il conserva le même orgueil dans le lieu
de sa détention, et il donnoit des ordres avec toute l’arrogance d’un
despote d’Asie : il finit par se croire chancelier d’Angletêrre, due de
Batavia, et un puissant monarque. ( Doctor Perfect , Annals of
insanitj ».) *.
M. Fodéré a couru de grands risques auprès d’un mélancolique qui
se croyoit le père éternel, parce qu’il ne lui avoit pas, disoit-il ^témoigné
assez de respect.
Plus bas, il parle d’une manie érotique compliquée d’orgueil.
« Ce genre de mélancolie, dit-il, ne dépend pas uniquement de l’ins--
tinct naturel qui porte les sexes l’un vers l’autre , mais il est compliqué
des sentimens de vanité et d’orgueil, qui nous persuadent que nous
méritons quelque chose de plus qu’humain, ou tout au moins que nous
1 Sur l’aliénation mentale, deuxième édition, p. 36, §. 46-
nous sommes attiré les regards des premiers parmi les mortels. Ce n’est
ni la jeunesse, ni la beauté, ni les grâces qui nous ont captivés; c’est
la puissance, le rang élevé, le luxe des habits, des valets, de la fortune.
Delà vient l’idée de quelques dévots, d’être aimés par des sylphes ou
des anges : celle de quelques hommes que j’ai connus, qui se dessér
choient dans la persuasion que des reines et des princesses les avoient
distingués a ,1
L’aliénation mentale, accompagnée de fierté , de morgue , d’arrogance,
et celle où les malades s’imaginent être général, souverain,
Dieu même , est une aliénation très commune.
«Un aliéné de cette sorte , qui habitoitune maison ,en vue du dôme
du Val-de-Grâce, prétendit qu’il falloit transporter cet édifice dans
le jardin des Tuileries , et que deux hommes suffiroient pour opérer
ce déplacement. Il croyoit voir un rapport d’égalité entre la force de
deux hommes et la résistance qu’oppose celte masse énorme. On avoit
beau lui rendre sensible par des exemples l’immense disproportion de
l’une à l’autre , en évaluant le poids de chacune des pierres de ce vaste
édifice d’une manière approchée, il continua déjuger que l’entreprise
étoit possible, et il proposoit même de se charger de l’exécution. Il
succéda bientôt des extravagances d’un autre genre : le même aliéné
se crut propriétaire de toutes les forêts de France, et signôit, à ce
titre, des mandats de plusieurs millions, à prendre sur le trésor public.
Ses idées s’exaltèrent encore davantage , et il finit par se croire le plus
grand potentat de l’Europe \
u Une femme, privée en grande partie de ses ressources par des
événemens de la révolution , perd entièrement la raison , et est envoyée
à l’hospice des aliénées; elle se livre d’abord à un babil intarissable;
et, dans l’escès de son délire, elle adresse des propos décousus aux
objets les plus inanimés, et pousse des cris et des vociférations les plus
' Traité du Délire, T. I , 5r>-.
* Traité sur l’aliénation mentale , par M. Pinel. Deuxième édition, page qa,
paragraphe 109.