
lalion. Et quelle récompense plus flatteuse pour l'homme généreux et
noble, que les marques publiques de distinction et de mérite, que la
célébrité, qu’une vaste et belle réputation !
Pour moi, j’aime beaucoup l’ambition, l’honneur, dans mon cordonnier,
car il me fait de bons souliers; j’aime la vanité de mon jardinier,
car c’est elle qui me procure les fruits les plus Savoureux. Je neveux
point d’un avocat, d’un médecin, d’un général, d’un administrateur,
d’un ministre, qui ne soient pas jaloux de la gloire, et qui ne soient
sensibles à aucun autre appât qu’à celui de l’or. J’aime la naïve vanité
de cette jeune fille, j’en augure qu’un jour elle ambitionnera détre
excellente épouse et bonne mère.
Rectifiez les notions sur la valeur réelle des choses, et la société se
trouvera toujours mieux de cette prétendue foiblesse des hommes, que
de 1 apathie et de l’indifférence de ces philosophes, qui affectent d’avilir
les intérêts humains.
Quoi qu’en disent la satire et la morale, je rends grâce à la nature,
qui nous a tous doués de plus ou de moins de vanité, d’amour-propre.
Je conçois que ma vanité vous moleste; que de la modestie de ma part,
une déférence exclusive pour vos mérites, vous mettraient plus à votre
aise : mais soyons justes ; si de votre côté vous dussiez en faire autant
de bonne foi, seriez-vous encore aussi heureux, aussi content de votre
sort, de vos qualités, de vostalens? Il est trop rare que l’équité ou
la justice des autres veuille bien apprécier les bonnes qualités ou
atténuer les mauvaises. C’est cette divine enchanteresse , c’est la vanité
qui nous console de nos défauts et des prérogatives de nos pareils. C’est
elle qui est toujours ingénieuse à tout compenser, qui découvre à
chàcun de nous un mérite , un avantage, un bonheur que nous préférons
à tout. Où est l ’homme qui, sous tous les rapports, échangerait
son sort contre celui d’un autre P
Toutes les classes d’hommes ont reçu cette qualité en partage. La
vanité est la même dans les forêts, dans les villages et dans les villes.
Les Américains septentrionaux sont fort occupés de leurs personnes; ils
employent un temps considérable, et prennent une peine infinie à se
parer à leur manière, à préparer, à rendre plus durables les couleurs
dont ils se peignent; ils sont perpétuellement occupés à les reparer,
afin de paraître avec avantage. Là, c’est par les plus beaux bestiaux,
par les champs les mieux cultivés, que la vanité cherche l’admiration;
ici, elle s’efforce d’attirer les yeux jaloux des autres ,-par la parure, par
la magnificence de?équipages , par des livrées de distinction, par des
titres , etc., etc.
C’est encore la vanité,comme l’a dit M.le comte de Ségur, qui fait qu’il
n’y a point de nation, même sauvage, qui se croye inférieure au reste des
hommes. Il n’y en a pas même qui se réduisent à prétendre l’égalité. Elles
ont toutes une haine et un mépris mutuels l’une pour l’autre. Attachées
aux objets qui les intéressent particulièrement, et considérant respectivement
leur condition comme le dernier période de la félicité humaine
, toutes prétendent à la prééminence. La plupart s’établissent,
chacune dans son espèce, pour arbitre et pour modèle de la perfection,
s’arrogent le premier rang, et distribuent les l’angs inférieurs et la considération
aux autres, suivant qu’ elles approchent le plus de leur propre
manière d’être. L ’une tire vanité du caractère personnel, ou du savoir de
quelques-uns de ses membres; une autre de sa richesse, de son industrie,
de son ancienneté, de sa population, de sa puissance; et celles qui
n’ont rien à vanter sont vaines de leur ignorance, de leur simplicité, de
leurs montagnes, de leurs immenses forêts, de leur esclavage, de leur
pauvreté, du despotisme absolu même de leur tyran. Le sauvage chérit
son indépendance d’esprit qui ne peut s’assujétir à aucun travail, et qui
ne reconnoit point de supérieur; c’étoit une imprécation proverbiale
fort usitée chez les peuples des confins de la Sibérie, que leur ennemi
fût réduit à mener la vie des Tartares, et fût possédé de la folie d’élever
et de faire paître du bétail. Les Russes, avant le règne dePierre-le-Grand,
se croyoient en possession de tout ce qui fait la gloire et l’ornement des
nations ; et méprisoient , en proportion, leurs voisins occidentaux
d’Europe. A la Chine, la mappe-monde étoit un carré plat, dont
la plus grande partie étoit couverte par les provinces de ce vaste empire,
et où on ne laissoit à occuper aux méprisables restes de l’espèce