
suite de l'amour du pouvoir....... On rampe aux pieds du trône, afin
d’être encore au-dessus d’une foule de têtes qu’on aime à faire courber.
Il doit en résulter que les esclaves les plus bas avec leurs supérieurs,
sont les despotes les plus hautains avec ceux que la fortune place au-
dessous d’eux ; et c’est en effet ce que l’on voit toujours arriver. Le visir
humilié en présence de son maître, est bien pressé de rendre aux bâchas
les dédains du Grand-Seigneur ». ‘
Ce sentiment intérieur, suivant qu’il coexiste avec des qualités differentes
, se manifeste de tant de manières diverses , qu’il semble quelquefois
en contradiction avec lui-même; et cependant, quelque forme
qu’il revête, c’est toujours l’orgueil, la hauteur. Tel glorieux, ainsi
qu’Antisthènes, couvert de haillons, et n’ayant pas vaillant quatre
sous, se croiroit déshonoré de travailler pour gagner sa vie , méprise
et dédaigne tout ce qui l’environne, ne juge aucune chose digne de son
attention, et, se suffisant à lui-même, reste dans une inaction complète
pour les choses extérieures. Tel autre ne met aucune borne à son insolence;
tout ce qui est élevé au-dessus de lui, l ’irrite et le blesse, Partout
il porte le mépris ; l’envie le dévore ; il foule tout sous ses pieds,
s’érige en maître dans la nature ; et par des statues j des monumens,
des temples, se place, même de son vivant, parmi les immortels. C’est
par orgueil que Philippe II compare la perte de vingt mille hommes
avec la perte d’un petit ruisseau. C’est par orgueil que Septime-Sévère
foule sous ses pieds le cadavre de son ennemi. C’est par orgueil
qu’Aurélien traîne après son char de triomphe les rois vaincus ; et c’est
par fierté , par générosité , par magnanimité, que Marc-Aurèle et
Henri IV pardonnent aux traîtres après les avoir subjugués. Ici l ’orgueil
s’afflige de la persécution la plus légère ou des marques d’indifférence
qu’on lui donne : là, il brave toutes les attaques ; et les atteintes que
lui portent ses ennemis ne font qu’augmenter l’opinion qu’il a de sa
haute importance. 1
1 Lettres philosophiques, sur l’intelligence et la perfectibilité des animaux. Nouvelle
édition, à Paris, an X , (18012), p. 187, 190.
ii est un certain nombre d'hommes qui ont l’esprit assez ferme et le
coeur assez grand, qui sont assez profondément pénétrés de leur prix,
et ont à tel point la passion de l’indépendance, qu’ils savent repousser
toutes les influences extérieures tendant à les assujétir. Autant que
possible, ils cherchent les états les plus libres pour y fixer leur séjour;
ils sevouent à une occupation qui les rend indépendans, qui les exempte
delà faveur et des caprices des grands.
La domination sur leurs inférieurs, qui entraînerait l'esclavage sous
un maître absolu, leur deviendrait insupportable. Les honneurs, les
distinctions destinés au mérite, lorsqu’ils sont prodigués à des hommes
de rien, ne sont à leurs yeux que des humiliations. S’ils prospèrent,
ce n’est que par eux-mêmes; comme le chêne, ils se soutiennent seuls,
et tout ce qu’ils sont, ce n’est qu’à eux qu’ils veulent le devoir. C’est-là
une fierté qui n’est point encore dégénérée en orgueil, un mérite plutôt,
qu’un défaut; compagne souvent de grandes vertus , ennemie de toute
bassesse, soutien du courage dans les adversités.
Quelques formes variées que revêtent l’orgueil et la hauteur, ils n en
sont pas moins indispensables. Dès que l’homme étoit destiné pour
vivre en société, les uns dévoient naître pour dominer, et les autres pour
obéir. Maîtres et esclaves, voilà les deux conditions des peuples barbares,
et là où l’homme prétend être parvenu au plus haut degré de
la civilisation , chaque tentative téméraire qu’il fait pour secouer le
joug de l’autorité, lui prouve qu’il est incapable de supporter la liberté.
11 n’est nullement vrai que lés hommes naissent égaux et qu’ils soient
destinés à exercer tous, les uns sur les autres, la même influence réciproque.
La nature a assigné à chacun d’eux un poste différent, en leur
donnant une organisation , des inclinations et des facultés différentes.
Celui qui est né dans la servitude s’élève au rang de maître, s’il est
doué de talens, de valeur, de courage et d’esprit de domination; et
celui qui est né revêtu d’autorité, s’il ne sait conserver les dons qu’il
tient d’un caprice de la fortune, descend au rang d’esclave.
Que l’on observe les enfans dans leurs jeux. 11 y en a toujours un
qui s’arroge l’autorité sur les autres. 11 devient général, ministre et légis