arrive que ce penchant soit porté au plus haut degré d’exaltation ,
l ’homme n’éprouve que peu d’opposition entre ses penchans pernicieux
et ses devoirs extérieurs; et quoique encore dans ce cas il ne soit
pas privé de la liberté morale ou de la faculté de se déterminer d’après
des motifs, il trouve de la jouissance dans l’homicide même. Nous
rangeons dans cette catégorie tous les brigands qui, non contens de
voler, ont manifesté l’inclination sanguinaire de tourmenter et de tuer
sans nécessité. Jean Bosbeck ‘ ne se bornoit point comme ses camarades
à maltraiter ses victimes pour leur faire avouer l’endroit où leurs trésors
étoient cachés ; il inventoit et exerçoit les cruautés les plus atroces,
pour le seul plaisir de voir les souffrances et le sang des enfans, des
femmes et des vieillards. La crainte ni les tourmens ne purent le
corriger. Sa première détention dura dix-neuf mois; il étoit enfermé
dans un cachot souterrain et si étroit, qu’il pouvoit à peine respirer.
Ses pieds étoient chargés de chaînes; il étoit jusqu’aux chevilles dans
une eau croupissante, et quand on le retiroit de ce cloaque, c’étoitpour
lui faire subir une torture cruelle. Cependant il n’avoua rien ; il fut
élargi, et le premier usage qu'il fit de sa liberté, fut de commettre un
vol en plein jour. Il commit bientôt de nouveaux meurtres, et fut enfin
supplicié. Au commencement du siècle dernier, plusieurs meurtres
furent commis en Hollande, sur la frontière du pays de Clèves. L ’auteur
de ces crimes fut long-temps inconnu. Enfin un vieux ménétrier
qui avoit coutume d’aller jouer du violon à toutes les noces des environs
, fut soupçonné, d’après quelques propos que tinrent ses enfans.
Traduit devant le magistrat, il avoua trente-quatre meurtres, et assura
qu’il les avoit commis sans aucune cause d’inimitié, sans intention de
voler, mais seulement parce qu’il y trouvoit un plaisir extraordinaire ».
« Louis X V, dit M. de Lacretelle 5, avoit une aversion bien fondée
« pour un frère de M. le duc de Bourbon-Condé, le comte de Charo-
’Histoire de Schinderhannes, T. II, p. 8.
» Ce fait nous a été communiqué par M. Serrurier, magistrat à Amsterdam.
3 Histoire de France, T. II, p. 5g.
« lois, prince qui eût rappelé tous les crimes de Néron, si le malheur
« des peuples eût voulu qu’il occupât un trône. Dans les jeux même de
« son enfance, il trahissoit un instinct de cruauté qui faisoit frémir. 11 se
u plaisoit à torturer des animaux; ses violences envers ses domestiques
« étoient féroces. On prétend qu’il aimoit à ensanglanter ses débau-
« ches, et qu’il exerçoit différentes sortes de barbaries sur les cour-
« tisanes qui lui étoient amenées. La tradition populaire, d’accord
« avec quelques mémoires, l’accuse de plusieurs homicides. Il com-
« mettoit, dit-on, des meurtres sans intérêt, sans vengeance, sans
« colère. Il tiroit sur des couvreurs, afin d’avoir le barbare plaisir de
« les voir précipités du haut des toits ».
« Ces derniers faits, heureusement très-rares, nous montrent que ce
penchant détestable est quelquefois tout à fait indépendant de l’éducation,
des exemples, de la séduction ou de l’habitude, et qu’il prend
uniquement sa source dans un vice de l’organisation. En effet, il se
commet des crimes tellement barbares, ou avec des circonstances si
dégoûtantes et si révoltantes, qu’il seroit impossible d’expliquer ces crimes
d’une autre manière. Prochaska raconte ' qu’une femme de Milan
amenoit chez elle de petits enfans en les flattant, puis les tuoit, saloit
leur chair et en mangeoit tous les jours. Il cite aussi l ’exemple d’un
homme qui, par l’effet de ce penchant atroce , tua un voyageur et une
jeune fille pour les dévorer. Nous avons déjà fait mention de la fille
d’un anthropophage qui, dès sa tendre enfance élevée loin de son père,
partageoit cet affreux penchant » 4.
Il est donc certain que le penchant non-seulement au meurtre, mais
même à l’homicide, exerce un épouvantable empire sur certains individus,
au point que, comme s’expriment déjà Helvétius et le cardinal de
Polignac, il y a des hommes assez malheureusement nés pour ne pouvoir
être heureux que par des actions qui les conduisent à la Grève.
« M. Bruggmanus, professeur à Leyde, nous a montré le crâne d’un
' Opéra minora, T.II, p. g8,
* T. II, p. 180.— i83.