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à I homme, il n’en eût jamais eu la moindre idée , et jamais il ne lui
fût entré dans l’esprit de faire des lois contre le vol.
Le point de vue est tout autre, si nous admettons que le sentiment
de la propriété est inné. Il est des hommes qui, par une avidité trop active,
sont entraînés à s’approprier le bien d’autrui. Il est des usuriers, des
escrocs, dés coupeurs de bourses, des voleurs, des brigands. La Bruyère
a dit : Je suppose qu’il n’y ait que deux hommes sur la terre qui la possèdent
seuls, et qui la partagent toute entre eux, je suis persuadé qu’il
leur naîtra bientôt quelque sujet de rupture, quand ce ne seroit que
pour les limites '.C’est pourquoi il n’y a pas d'homme à qui un sentiment
commun à tous ne dise que la propriété doit être mise à l’abri des
attentats de pareils usurpateurs. Nous faisons des lois, ou plutôt c’est
la nature , le créateur lui-même qui nous les inspire , tandis que nous
les croyons notre ouvrage. Ainsi donc, les lois sont nées du sentiment
de la propriété, et ce n’est nullement le sentiment de la propriété qui
est né des lois.
On veut que les seuls besoins de la société aient produit le sentiment
et le droit de propriété. Les conventions sociales peuvent déterminer
sous quelles conditions on est légitime propriétaire de telle
chose; mais la société ne peut donner naissance, ni au sentiment ni
*u droit. J’ai déjà montré en plusieurs fois, et j’aurai occasion encore
de revenir sur ce sujet, qu’il n’existe pas de qualités artificielles. La
société offre des points de contact au moyen desquels l’activité des
qualités fondamentales se déploie, mais élle fait naître tout aussi peu
ces qualités elles-mêmes, que la femme ne fait naître l’instinct de la
propagation dans l’homme. Si l’homme et les animaux sociables possèdent
certaines qualités qui conviennent à l’état de société, c’est quelles
leur sont données parce que la nature les destine à l ’état social. Ce
n’est que;dans cette hypothèse que l’on peut concevoir l'existence de
la société. La brebis, lorsque le soleil est très-ardent, met sa tête
sous le ventre de sa voisine, les animaux qui vivent en commun
’ La Bruyère, tome I.
placent des sentinelles, et se prêtent secours mutuellement; les abeilles
répartissent les différens travaux entre différens individus. Les instincts
qui fontagir ainsi touscesanimaux,existoientdans chaque individu avant
qu il vécût en société; ils restent inactifs lorsque ces mêmes individus sont
obliges de vivre solitaires, et se réveillent du moment où la société est
établie.
11 est donc prouvé que la propriété et le sentiment de la propriété
sont une institution de la nature, chez l’homme ainsi que chez les
animaux. Or, comme le vol suppose la propriété,1e vol est un phénomène
naturel tant chez l’homme que chez les bêtes.
Chaque nation de barbares est une bande de brigands qui pillent
leurs voisins sans ménagemens et sans remords. On peutse saisir partout
du bétail que l’on trouve dans les campagnes ; et suivant cette
jurisprudence , les côtes de la mer Egée sont dévastées par les héros
d’Homère, sans autre raison, si ce n’est que ces. héros aimoient à
s’emparer de ce qu’ils trouvoient d’airain, de fer, de bestiaux, d’esclaves
et de femmes chez les peuples d’alentour.
Un Tartare , monté sur un cheval, est un véritable animal de proie,
qui ne s’informe que des lieux où il y a des bestiaux, et combien il y a
de chemin à faire pour aller s’en saisir.
Le même esprit a régné chez toutes les nations barbares de l’Europe,
de l’Asie et de l’Afrique. Les antiquités de la Grèce et de l’Italie , et
les fables de tous les anciens poètes,, sont pleines d’exemples de son
influence. Ce fut cet esprit qui, en premier lieu , poussa nos ancêtres
dans les provinces de l ’empire Romain ; et dans des temps postérieurs,
ce fut encore lu i, plus peut-être que le respect pour la croix, qui les
conduisit dans l’Orient pour partager avec les Tartares les dépouilles de
l’empire des Sarrasins. Même les animaux volent; le chat, le chien, la
pie, en fournissent des exemples. J'ai connu un chien qui ne mangeoit
rien qu’il ne l’eût dérobé. Lorsque ces animaux réussissent à faire un
larcin avec assez d’adresse pour que l ’on ne s’en aperçoive pas, ils en
ressentent une grande joie. Une pièce de monnoie qu’on donne à une
pie privée n’a pas d’attrait pour elle* mais dès que l’on cache cette