
Nous pourrons prononcer plus hardiment sur ce point, ainsi que sur
plusieurs autres, lorsque nous aurons des connoissances plus étendues
sur les moeurs des animaux. Il y en a beaucoup dont nous ignorons
encore à l’heure qu’il est, s’ils vivent ou non dans l’état de mariage ; il
y en a d’autres que nous voyons errer célibataires, uniquement peut-être
parce qu’on ne les abandonne pas à la nature, et que l’on tue plus de
mâles de leur espèce que de femelles. Il y a tels animaux, comme le
chien et le chat, qui peut-être vivroient dans une union durable avec
une femelle, si leurs petits ne trouvoient pas une nourriture abondante
dans nos maisons. Le chat sauvage, autant que je sais, vit avec une seule
femelle; du moins le loup vit-il dans certains cas dans l’état de mariage;
je possède des crânes d’un loup et d’une louve que l’onavoit vus ensemble
plusieurs années de suite. Ce que je viens de dire sur le mariage,
suffira pour faire comprendre au lecteur pourquoi je ne parle de cette
matière qir’avec beaucoup de réserve.
Aliénation de l’attachement.
Un développement excessif de l’organe de l’attachement peut prédisposer
à la manie ; une paysanne devint trois fois aliénée ; la première
fois à la mort de son frère, la seconde à la mort de son père, et la
troisième après la mort de sa mère. Après qu’elle fut rétablie pour la
troisième fois, elle vint me consulter; comme elle étoit très-religieuse,
elle se plaignit à moi de sa malheureuse disposition à s’affliger de la
perte des personnes qui lui sont chères, plus que ne le permet la religion,
preuve évidente qu’elle avoit succombé à sa douleur, quoiqu’elle l’eût
combattue par les motifs qui étoientàsaportée.M. le professeur Pinel rapporte
quelques exemples semblables: «Un jeune homme, dit-il, à la suite
d’autres événemens malheureux, perd son père, et quelques mois après
une mère tendrement chérie : dès-lors, une tristesse profonde et conquent,
mais il existe. Ces personnes-là ne paroissent incapables d’un attachement
durable que parce qu’elles sont déjà irrévocablement attachées pour la vie.
centrée, plus de sommeil, plus d’appétit, et peu à peu explosion d’un
état maniaque des plus violens » '.
« Deux jeunes réquisitionnâmes partent pour l’armée, et dans une
action sanglante un d’entre eux est tué d’un coup de feu à côté de son
frère, l’autre reste immobile, et comme une statue à ce spectacle. Quelques
jours après on le fait ramener dans cet état à la maison paternelle ;
son arrivée fait la' même impression sur un troisième fils de la même
famille; la nouvelle de la mort d’un de ses frères, et l’aliénation de
l’autre, le jettent dans une telle consternation et une telle stupeur, que
rien ne réalisoit mieux cette immobilité glacée d’effroi qu’ont peinte
tant de poètes anciens et modernes » *.
De la sociabilité, tant de l'homme que des animaux.
La sociabilité est encore un penchant dont, malgré toutes mes recherches,
il m’a été impossible, jusqu’à ce moment, de découvrir la condition
matérielle. Comme ce penchant est commun à l’homme et aux animaux, il
faut que son organe soit encore au nombre des parties cérébrales dont
les animaux sont doués aussi bien que notre espèce; il doit être placé
également dans le voisinage de ceux dont nous avons traité jusqu’ici,
ou bien la sociabilité rentre dans leur sphère d’action.
J’ai déjà montré ailleurs3, que les causes que l’on assigne à la sociabilité
ne sont point admissibles. La société n’est fondée ni sur le besoin,
ni en général sur un calcul d’intérêt. Des animaux forts et puissans vivent
en troupeaux, tout aussi bien que des animaux foibles. L’ours noir
d’Amérique (frugivore), vit en troupeaux, au Kamcliatka, tandis que
le grand ours brun vit toujours isolé. Quelques espèces se tiennent en
troupes toute l’année, d’autres ne se rassemblent que dans certaines
saisons. 11 y en a qui ne vivent en société avec leur propre famille,
Pinel, de l'aliénation mentale, a*, édition, p. 213, § 195.
* Ibidem, p. i 85, § 180.
5 Tome I I , Sect. 1 , p. 66 et suiv.