
à son dessein, tantôt il y revenoit. Il entra dans une auberge,y but une
chopine de vin, alla faire une partie au café, et à six heures et demie se
rendit au spectacle. Comme il étoit encore de trop bonne heure, il but
à l ’auberge une autre chopine de vin, et retourna au spectacle où il
exécuta son dessein, comme il l ’avoit avoué dans le premier interrogatoire.
Il croyoit, ajouta-t-il, n’avoirporté qu’un coupa chaque femme.
Il ne leur avoit jamais parlé. Il avoit quelquefois causé d’afiaires avec
le mari de la plus âgée, et ne s’étoit pas senti le courage de demander à
être admis dans la maison. Il avoit composé son écrit, afin de laisser au
monde, après sa mort, un monument de sa destinée singulière; il l’avoit
pris sur lui afin de justifier une action qu’il n’avoit commise, après un
long combat avec lui-méme, que dans un accès de fureur et de violence
incroyable; que cependant il avoit eu la conscience de ce qu’il
avoit fait dans ce moment.
Jusqu’alors , le prévenu avoit, comme on le voit, répondu d’une
manière positive et raisonnable aux questions qu’on lui avoit adressées.
Deux médecins qu’on avoit par précaution appelé à l’interrogatoire
sommaire, déclarèrent que d’après les réponses claires et raisonnables
du prévenu, ils le tenoient pour un homme dont l’esprit étoit parfaitement
sain, et qu’il ne pouvoit nullement avoir été fou.
Mais dans l’interrogatoire ultérieur, le prévenu ne fit d’autre réponse
que celle-ci aux questions par lesquelles on chercha à le serrer de plus
près : « Je suis fou, insensé; je ne puis pas répondre parce que je suis
a fou; je ne puis pas non plus faire mes prières parce que je suis fou ».
Cette conduite du prévenu au second interrogatoire ne parut au tribunal
qu’un effet de 1 obstination , ou une pure feinte; car lors du
premier interrogatoire qui avoit eu lieu si peu de temps auparavant, le
prévenu avoit montré du calme, de la fermeté, et n’avoit laissé percer
qu’un peu de mauvaise humeur sur sa position. En conséquence, on lui
lu t , afin qu’il ne les ignorât pas, les dispositions des articles 363 et 364
de la première partie du Code, portant que quiconque en contrefaisant
Tinsensé cherche à tromper le tribunal, ou persiste obstinément à ne
pas répondre aux questions qui lui sont adressées, sera puni par le jeûne
et les coups. A cette lecture , le prévenu eut l’air violemment agité ; il
changea de couleur, pleura abondamment, mais sans répondre aux
questions qui lui étoient faites. Alors le tribunal proposa le cas à huit
personnes de l’art , tant médecins que chirurgiens, leur remitle mémoire
du prévenu, ainsi que. la copie de ses réponses verbales, et leur soumit
les deux questions suivantes, pour les examiner et les résoudre.
I. Le prévenu est-il réellement fou, ou bien contrefait-il la folie ?
II. Peut-on lui imputer son action à ce titre ?,
Les gens de l’art regardèrent dans leur rapport, les allégations du
prévenu relativement à sa constitution physique, comme dénuées de
fondement; ils déclarèrent que son corps étoit sans défaut, que ses
membres étoient sains , et qu’il avoit la quantité de sang requise. Ils
ajoutèrent que le désordre actuel de son esprit n’étoit qu’une feinte;
mais ils avancèrent que ledit prévenu,par suite de l’effervescence et de
la lésion de son imagination, étoit devenue maniaque, et que dans la
continuité de l’accès de sa manie, il n’avoit pas agi méchamment et à
dessein de nuire, mais avoit commis le fait dans un état moral où on
ne pouvoit pas le lui imputer à crime.
Le tribunal fit de nouveau comparoilre le prévenu pour l’interroger
sur l’intention qu’il avoit eue en commettant le double meurtre. Il répondit
: « On peut voir clairement par le tableau de ma vie , composé
« par moi-même, quel a été le motif de cette action ». — Puis il réfléchit
pendant quelques minutes, et continua ainsi : « Vous pouvez me
« faire telles questions qu’il vous plaira , je ne puis vous répondre que
« ce que je vous ai déjà répondu, c’est que je suis insensé ».
Comme on ne put, malgré toutes les représentations qu’on lui fit,
tirer de lui aucune réponse, on cessa l’interrogatoire, et on lui donna
le terme de trois jours, fixé par la loi, pour songer à ce qu’il pourroit
alléguer pour sa justification. Durant cet intervalle , on entendit
plusieurs témoins en état de donner des renseiguemens précis sur les
facultés intellectuelles du prévenu. Des prisonniers qui se trouvoient
près de lui, .et le geôlier déposèrent qu’il se comportoitfort paisiblement,
ne parloit à personne, et paroissoit toujours rêveur. Les personnes